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et qui le faisait rebondir par-dessus les obstacles au lieu de les pénétrer en droite ligne, conservait cependant assez de puissance pour pouvoir aller mettre hors de combat derrière leurs remparts les canonniers et le matériel de défense d’un front attaqué. Par ce procédé, il arrivait à obtenir des résultats plus rapides qu’avec la charge et le tir de plein fouet, qui enterraient un nombre énorme de projectiles dans les épaulemens avant de ruiner les moyens de défense de l’adversaire. Il réservait les grosses charges et les feux directs presque exclusivement pour battre en brèche, lorsqu’il avait poussé ses travaux jusque par le travers du fossé. Relativement à ce qu’on avait fait jusqu’alors, c’était une grande économie de temps, d’argent et de matériel, et par suite une grande force donnée à l’offensive. En réduisant volontairement la puissance absolue de ses armes, Vauban en avait augmenté, dans une proportion notable, l’efficacité pratique. Le général Paixhans fit de même. N’ayant à combattre ni des épaulemens en terre, dont la résistance inerte est si considérable, ni des murailles de pierre ou de brique, qui ne peuvent être ruinées que par des projectiles doués d’une puissance assez vive de choc ou de pénétration, il renonça aux canons dont les coups étaient capables de percer de part en part les deux murailles d’un vaisseau, mais en n’y produisant que des trous qu’il était facile de boucher. Il les remplaça par des bouches à feu dont les projectiles, animés d’une force vive très inférieure, étaient par cela même d’autant plus redoutables aux murailles de bois ; au lieu de les traverser, ils ne devaient y faire que leur logement, et de plus, en réduisant la longueur de l’âme des pièces, en diminuant les charges de poudre, il faisait en sorte que les projectiles pouvaient être creux, explosibles, chargés de matières incendiaires qui éclataient dans les murailles de bois comme des fourneaux de mines, ouvrant des brèches fatales et propageant l’incendie. Comparativement à celles qu’il fit adopter, les pièces d’autrefois dépassaient le but, elles franchissaient les obstacles au lieu de s’y arrêter pour les détruire ; leur longueur et la force des charges sous lesquelles elles tiraient rendaient presque impraticable l’emploi des obus. Le canon Paixhans, beaucoup plus court, réduisant les charges à moins que le septième du poids du projectile, tirant sous de grands angles pour conserver sa portée, infiniment plus léger que les autres, et mettant à profit le bénéfice de cette légèreté pour arriver à des calibres dont on n’avait encore eu jusque-là aucune idée dans l’artillerie navale, le canon Paixhans a été l’arme la plus redoutable de son temps. Il en a fourni des preuves éclatantes dans les deux engagemens où il fut employé contre des navires : au combat de Sinope, où en moins d’une heure la flotte turque fut presque complètement détruite ou brûlée par