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d’observer combien nos incrédules modernes tenaient du croyant, combien nos croyans tenaient de l’incrédule. »


Sur une objection de sa nièce Ada, qui remarque très justement que la foi aussi s’est renouvelée chez le chrétien moderne, le général reprend :


« Cela peut être, mais ce que j’ai aperçu, c’est moins un nouvel esprit de foi qu’un nouvel esprit de critique, et un esprit de critique dont la tendance était hostile à ce que l’on peut nommer, pour plus de brièveté, le principe de la révélation. »


Pour sa part, ce que M. Smith attaque plus particulièrement, c’est la morale et la psychologie du christianisme, ce sont les deux bases précisément sur lesquelles repose le christianisme protestant : l’idée du péché d’abord, c’est-à-dire d’un vice qui a son siège dans notre propre manière d’être, et en second lieu l’idée des châtimens et de la réprobation auxquels cette seule souillure nous expose au-delà de la tombe. Il est assez vain de décider ce qui serait arrivé si Annibal ne s’était pas arrêté à Capoue, et, cependant je ne puis m’empêcher de croire que M. Smith, s’il eût vécu en France, n’aurait jamais écrit Gravenhurst. En présence du catholicisme, qui, sauf la part faite à l’imagination, est avant tout une règle de moralité terrestre, un système de direction pour amener les hommes à bien vivre, il est probable qu’une intelligence active, comme celle du penseur anglais se serait tournée surtout du côté des inconvéniens de l’utilitarisme ; mais en présence du protestantisme c’est contre le spiritualisme protestant qu’elle s’est exercée, contre la tendance qui est l’âme de tout spiritualisme, celle qui regarde au mobile intérieur plutôt qu’aux actes, qui fait résider le mal dans l’état de la volonté, dans la nature du sentiment d’où résulte la détermination, et qui a pour idéal, non plus exclusivement d’amener l’homme à pratiquer les actions les plus bienfaisantes par leurs conséquences, mais de transformer les mobiles qui règnent au cœur de son être.

Comment M. Smith a-t-il résolu le problème du mal ? De la façon la plus héroïque ; en le supprimant totalement. Il ne se borne pas à affirmer que dans notre monde actuel le mal est le seul échelon par où l’on monte au bien, — ce que nul ne songe à contester ; — il ne se borne même pas à présenter absolument le mal comme une simple phase de croissance, comme le commencement normal et tout à fait indispensable du bien, — ce qui est en tout cas fort difficile à réfuter ; — il va jusqu’à nier le mal, jusqu’à éliminer ce qui fait des passions funestes un défaut morale un vice propre à l’homme, et entraînant pour lui une culpabilité, ou en tout cas une infirmité qui est sa honte à lui.