Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/1015

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La responsabilité de la France est profondément engagée dans le sort actuel de l’Italie. Ce n’est pas en une seule fois, c’est par des actes successifs que nous avons contracté, étendu, renouvelé cette grave responsabilité. Dès le principe, nous avons, pour notre compte, vu toute la portée des engagemens auxquels la France se liait. Aussi, et avant la guerre de 1859 et dans chaque occasion où la France a eu la faculté de limiter ou d’étendre ses responsabilités dans ces momens solennels où nous avions le choix des conduites, où nous étions maîtres encore de la conserver ou de l’aliéner, où il était sage d’hésiter et de bien peser les partis que l’on allait prendre, nous avons plus d’une fois pressé vivement notre gouvernement de conserver sa liberté d’action et de s’arrêter devant des résolutions décisives. C’est une terrible chose dans les affaires humaines que de susciter arbitrairement par son initiative, et en recourant à l’un des deux engins de la force, la guerre ou la révolution, des questions formidables que l’on aurait pu abandonner à l’élaboration pacifique des agens libres et à l’action mûrissante du temps. Il y a une grande distinction à faire entre ceux qui ne reculent point devant la responsabilité de créer les questions et de les imposer à leurs contemporains et ceux qui, devant les questions une fois posées, appliquent et consacrent la logique de leurs principes et la constance de leurs opinions au développement des événemens et des situations ainsi provoqués, ou amenés par la volonté des audacieux où par la force des choses. Il peut se faire que ce soit une témérité coupable d’introduire dans les affaires humaines la fatalité en recourant à la révolution ou à la guerre ; c’est du moins une faute de ne pas prévoir les conséquences nécessaires de ces périlleux appels à la force : la réparation ou l’expiation de cette faute, c’est d’accepter fidèlement jusqu’au bout ces conséquences que l’on n’avait pas prévues, ou de les subir en victimes résignées. Par contre, ce peut être un acte honnête de s’efforcer, quand il en est temps encore, de détourner la guerre et la révolution, d’en éloigner les conséquences violentes et fatales, même lorsqu’elles semblent devoir servir la cause à laquelle on est attaché par ses affections et ses idées ; mais il est honnête aussi celui qui demeure fidèle à ses principes et à ses sympathies même lorsque sa cause a été engagée par les procédés qu’il avait cru devoir blâmer d’avance, et compromise en des conséquences dont il aurait voulu pouvoir prévenir la précipitation violente. La politique, qu’on en soit sûr, a, elle aussi sa morale, et cette morale est en grande partie dans la distinction que nous venons d’indiquer. S’il nous était permis de parler de nous-mêmes en un débat si vaste et de justifier la suite de nos appréciations touchant les affaires d’Italie, nous dirions que c’est cette morale que nous nous sommes appliqués à pratiquer. L’on nous a plus d’une fois accusés d’inconséquence et de contradiction, parce que nous avons blâmé certains actes dont nous devions aimer les suites, tandis qu’après avoir exprimé les réserves et les conseils de la prudence à propos de résolutions décisives qui pouvaient ouvrir précipitamment toute une série d’événemens graves, obligés de prendre