Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/1020

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

royaume de Naples et surtout les déclamations de Garibaldi contre notre occupation nous obligèrent à la maintenir au moment même où nous allions la cesser. Quoi qu’il en soit, l’expédition napolitaine, conséquence des annexions dont nous avions profité, devint la cause d’une perte nouvelle pour le pouvoir temporel. Sous prétexte d’arrêter Garibaldi et en réalité pour lui donner la main, l’armée piémontaise s’empara des Marches et de l’Ombrie. Nous-mêmes sanctionnâmes implicitement cette réduction nouvelle de l’état romain en traçant une limite à l’invasion, en nous contentant d’interdire aux armées italiennes l’accès de la Comarque et de Rome. À partir de ce moment, on peut dire que la question romaine a été résolue en principe, sinon entièrement, contre le maintien du pouvoir temporel, et que la France a tour à tour, par son initiative ou par son abstention, moralement accepté cette solution. Pourquoi donc tardons-nous tant à laisser s’achever dans les faits cette conséquence nécessaire et suprême de la guerre de 1859 et de la révolution italienne ? Pourquoi, par une temporisation excessive, nous exposons-nous à exciter les ardeurs du parti d’action italien, à grandir dans la péninsule ces élémens révolutionnaires qui ont pris nécessairement part à l’œuvre entreprise en 1859 ? Pourquoi enfin nous laisser enchaîner par la prise que nous donnons sur notre point d’honneur aux provocations de ces impatiens, dans une situation pleine pour nous d’obscurités, de contradictions et d’ennuis ?

Rome, capitale de l’Italie, est devenue, par une suite d’incidens qui ont découlé de notre initiative et auxquels nous avons directement et indirectement concouru, l’achèvement nécessaire de la guerre de 1859 et de la reconstitution de l’Italie. Voyez ce que l’aspiration à Rome est pour les Italiens. Rome, capitale de l’Italie, c’est pour eux l’expression la plus haute de l’idée de la nationalité rendue à la vie et à la gloire. Ce n’est pas seulement une idée, c’est une condition de gouvernement. Rome coupe l’Italie en deux ; l’aliment incessant que la privation de Rome donne aux protestations du patriotisme ne permet pas l’apaisement des élémens révolutionnaires. Il est pratiquement impossible d’opérer l’unification de l’Italie, si ce n’est pas de Rome que part la promulgation des lois constitutives de l’unité. Sans Rome, les anciennes divisions reparaissent en dépit des efforts des bons citoyens : Naples est rebelle à l’impôt et demeure déshonorée par le brigandage ; la Sicile honnête et découragée déserte le parlement ; aucun ministère fort ne peut s’établir ; si le ministère a pour chef Ricasoli, on dit : « C’est un cabinet de Toscans ; » s’il a Rattazzi à sa tête, on dit : « C’est un cabinet piémontais. » La triste lutte des influences étrangères paralyse la vie politique : celui-ci est la personnification de l’influence française, cet autre représente l’influence anglaise ; le parlement et les ministères vivent de petites condescendances mutuelles et usent lentement leur force et leur considération. Une nation renaissante, qui aurait besoin de sève et d’élan, est exposée ainsi à s’user au début même de sa nouvelle existence dans un marasme stérile. Enfin Rome capitale n’est pas seulement une idée, une condition