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reconnaître sa nourrice, chaque nourrice à reconnaître son agneau. Celui-ci s’agenouille, agitant la queue en signe de joie, comme fait un chien qui retrouve son maître ; il saisit avidement la mamelle de sa mère, et à coups de tête hâte la sortie du lait. Cependant le repas se termine; les brebis rentrent, la séparation s’accomplit de nouveau. Notre bande joyeuse prend tout à coup son élan; elle court aussi vite qu’elle peut, s’arrête subitement, revient avec la même impétuosité, puis repart sans but et sans cause. Parfois au milieu de la course quelques bêtes bondissent, lançant dans l’air avec vigueur une ruade qu’explique seul le besoin de mouvement. Qui ne les a pas vues ne saurait s’imaginer combien gracieuses sont toutes ces courses, combien gais sont tous ces jeux. Mais le temps marche, le sevrage s’effectue, et bientôt le petit[1] et sa mère deviennent étrangers l’un à l’autre.

Nous avons dit que le fumier des bêtes ovines constituait aux yeux des agriculteurs les plus intelligens un de leurs meilleurs produits. Dans les provinces où les loups et l’humidité du sol ne mettent en danger ni la vie ni la santé des moutons, on utilise souvent ceux-ci à fumer directement par le parcage certaines terres de la ferme. Économie de litière, économie de transports résultent à la fois de cette méthode, dont l’emploi dans une sage mesure convient aux champs et aux animaux. On doit donc, dès qu’on le peut, recourir au parcage. Nous n’oserions pas en dire autant de l’habitude qui existe en plusieurs endroits de traire les brebis. L’impossibilité où se trouvent quelques habitans du midi d’entretenir des vaches laitières sur leur sol aride excuse un semblable usage. La fabrication de fromages spéciaux, qui sont devenus, comme le roquefort, une source d’abondans profits pour les fermes où ils se préparent, explique encore la préférence que les cultivateurs du Rouergue accordent au lait de leurs brebis[2] ; mais quand on songe à toute la main-d’œuvre exigée par la traite d’une bête aussi peu laitière que la brebis et aux inconvéniens qui résultent de cette traite pour les agneaux, on conçoit que les bêtes ovines soient bien rarement entretenues en vue du lait qu’elles peuvent fournir.

Ce qui fait le mérite spécial de ces animaux pendant leur vie, c’est, tout le monde le sait, la laine dont nous les dépouillons. Les

  1. A un an pour les races les plus précoces, quatre mois plus tard pour les races moyennes, six mois plus tard pour les races tardives commence l’émission des dents de remplacement. Celles-ci permettent, comme elles font chez les autres animaux domestiques, de préjuger l’âge du mouton. La seconde émission se fait à dix-huit mois, deux ans et deux ans six mois suivant les races. Vers deux ans trois mois, deux ans neuf mois ou trois ans six mois, on compte six dents adultes. Les huit dents de lait sont toutes remplacées à trois ans, trois ans et six mois ou quatre ans et six mois.
  2. Le Rouergue à lui seul possède peut-être un million de bêtes ovines, dont les brebis forment environ les deux tiers.