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rien lui-même, évidemment elle n’avait pas eu lieu. C’était donc à distance, et sur la loi d’autrui, que la conversion s’était faite. C’était par correspondance que l’historien de Raphaël avait pris le parti d’enlever à l’œuvre du maître une page de cette importance, contrairement au témoignage de ses yeux et de son propre esprit. Bien qu’en lisant ces deux volumes, si pleins d’ailleurs d’excellentes recherches, il me fût survenu plus d’un doute sur la parfaite exactitude de certaines affirmations, jamais je n’aurais supposé que M. Passavant, sans plus de précautions, fit ainsi bon marché de ses jugemens personnels pour se soumettre à ceux de ses amis. C’est cependant lui qui nous le fait savoir. La clé de sa transformation est dans le passage que voici. Il s’agit de l’inscription tracée sur la bordure supérieure de l’habit du saint Thomas. « Cette inscription, ainsi conçue, dit-il : RAP. VR. ANNO MDV, donna lieu de supposer que Raphaël avait au moins participé à cette peinture… On nous a assuré que plus tard l’inscription s’effaça au premier nettoyage, et que dès lors on put douter de son authenticité. »

Comprend-on qu’on avance un tel fait, qu’on le publie, et qu’on lui donne une part de cette autorité si justement acquise par de longs et solides travaux, sans avoir pris la peine, sinon de le vérifier soi-même, du moins de l’avoir fait contradictoirement constater ? Que la légèreté française prenne de ces licences, on le conçoit encore ; mais la gravité germanique ! Rien n’était pourtant plus facile que d’avoir là-dessus le cœur net. Le premier Florentin venu aurait pu rendre ce service. Tout le monde aurait répondu que telle était l’inscription le jour où elle fut découverte, telle elle est encore aujourd’hui. Ce sont les mêmes lettres et les mêmes méandres ; elle n’est ni plus lisible, ni mieux formée, ni plus pâle, ni plus effacée qu’elle ne l’était alors. Ceux qui ont assuré le contraire au docte historien, ou se sont amusés de lui, ou sont tombés eux-mêmes dans quelque étrange erreur. Peu importe après tout : cette inscription, nous l’avons dit, n’est ici qu’une preuve surabondante et secondaire. Il est moins nécessaire de constater qu’elle existe qu’il ne l’est d’établir qu’elle n’a pas disparu, car on pourrait conclure de sa disparition qu’elle était née d’une supercherie. Or c’est là l’impression que M. Passavant, à son insu ou volontairement, communique au lecteur en accueillant cet on-dit. Un peu de réflexion aurait suffi pour le convaincre que l’inscription n’avait pas dû s’effacer au premier nettoyage, puisqu’au contraire c’était le premier nettoyage qui l’avait mise au jour. Pour que sa clairvoyance ait ainsi pris le change, il faut qu’il eût quelques raisons d’être infidèle à Raphaël. Et en effet nous voyons au paragraphe suivant qu’une autre idée lui tient au cœur, et qu’il propose un autre candidat à l’honneur d’avoir peint notre Cenacolo.