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la tête avec une expression d’effroi et d’inquiétude. Son air de fausseté contraste avec l’air candide de Jacques le Mineur, qui, les mains croisées l’une sur l’autre, semble demander s’il est possible que quelqu’un puisse trahir son divin maître. La tête du Seigneur, qui est d’une grande; beauté, exprime une douleur calme et résignée. Saint Pierre, indigné, semble menacer de son couteau le traître qu’il ne connaît pas encore. Le peintre a caractérisé de la manière la plus frappante la personnalité de chaque apôtre... Il est à remarquer que la forme de la tête de saint Pierre est tout à fait semblable à celle que Raphaël lui a donnée dans son Couronnement de la Vierge qui est au Vatican. »

Après de telles paroles, vous pensez qu’il renonce au Spagna’? vous le croyez rendu ? Pas du tout. Il persiste à soutenir sa thèse. Cette fresque, dit-il, a l’air raphaélesque; rien de moins étonnant. Ne sait-on pas que le Spagna excellait à imiter son ancien condisciple? Cette apparence qui vous trompe ne vient que de son savoir-faire. — À ce compte, il n’y aurait pas dans les galeries d’Europe un seul tableau de maître qui ne fût mis en question, car presque tous les grands peintres ont eu des imitateurs; mais. Dieu merci, ces singeries sont plus visibles qu’on ne pense. Au lieu de raisonner, ouvrez les yeux : y a-t-il ici la moindre trace d’imitation, de parti-pris, de procédé systématique? Sentez-vous la contrefaçon? Tout ne semble-t-il pas naïf, spontané, naturel? Comment confondre deux choses aussi distinctes que l’effort d’un artiste qui cherche à en imiter un autre et l’œuvre libre d’un esprit en travail qui ne sait pas encore où il va, qui s’étudie et se cherche lui-même?

Un seul mot suffisait pour trancher la question. Le Spagna a imité Raphaël, soit, avec bonheur, je l’admets, bien qu’on pût contester; mais quand l’a-t-il imité? Lorsqu’il y avait honneur et profit à le faire, lorsque le grand artiste était déjà glorieux et puissant, lorsque Rome était à ses pieds. Quant au Raphaël de Florence, à peine arrivé de la veille, à peine connu dans la ville, encore presque écolier, vouloir qu’il y eût quelqu’un qui s’étudiât dès lors à se faire son imitateur, c’est de l’anachronisme tout pur. On ne copie pas les gens avant qu’ils soient célèbres, avant qu’ils aient au moins une physionomie à eux. Or en 1505 telle chose n’existait pas que le style de Raphaël : il y avait un jeune homme plein d’avenir qui s’essayait à devenir original; mais ce jeune homme, sur presque tous les points, n’était encore qu’imitateur lui-même.

Aussi M. Passavant se hâte-t-il d’appeler à son aide un autre peintre dont Raphaël, aussi bien que le Spagna, avait reçu les leçons. Dans cette fresque, selon lui, il ne faut faire honneur de la composition pas plus au Spagna qu’à Raphaël; elle n’est ni de l’un