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comme Lassas, Viollet-le-Duc, inspiré un poète comme M. de Montalembert, entreprit systématiquement la réhabilitation de l’art du moyen âge, et essaya même de renouer la tradition interrompue depuis près de quatre cents ans. Ici de cruelles déceptions l’attendaient. Les systèmes d’esthétique, toujours vrais en un sens, quand ils sont conçus par des esprits élevés, ne doivent jamais chercher à se réaliser. Les seuls chefs-d’œuvre que produisit l’école néo-gothique sont de très bons livres d’archéologie. L’impuissance des idées théoriques à rien créer en fait d’art, le rang secondaire fatalement assigné à tout ce qui est pastiche et imitation furent prouvés par un exemple de plus ; mais la meilleure série de travaux que la France ait produite en notre siècle sortit de cette direction, ou, si l’on veut, de cette mode. Inférieur à l’Allemagne pour les ouvrages de haute critique et de très fine analyse, notre pays prit sa revanche en ces travaux d’une méthode exacte et sobre où, par une fortune rare, le savant et l’homme de goût collaborèrent dans une juste proportion, grâce au travail de ces trente dernières années et à l’accord des résultats obtenus, les principaux problèmes relatifs à l’art du moyen âge ont reçu une solution qu’on peut dire assurée.


I.

Comment cet art naquit-il ? Au milieu de quelle société réussit-il à grandir ? Comment cette société ne suffit-elle pas pour l’amener à sa perfection ? Comment la grande génération qui créa le style gothique n’eut-elle pas pour élèves des artistes analogues à ceux de l’Italie du XVIe siècle ? Voilà les questions que tout esprit philosophique se pose, et sur lesquelles les documens sont rares ou discrets. Les artistes français du moyen âge ont peu de personnalité ; dans cette foule silencieuse de figures sans nom, l’homme de génie et l’ouvrier médiocre se coudoient, à peine différens l’un de l’autre. Il faut des recherches minutieuses pour prendre sur le fait le travail obscur et, comme nous disons aujourd’hui, inconscient d’où sont sorties tant d’œuvres étranges. Je ne connais pas à cet égard de plus précieux témoignage que celui que M. Lassus a livré il y a quelques années aux discussions du monde savant.

En 1849, M. Jules Quicherat fit connaître un manuscrit du fonds de Saint-Germain, à la Bibliothèque Impériale, contenant un livre des plus singuliers. C’était, sous une chemise de vieux cuir, une série de feuillets de parchemin contenant les dessins, les essais, toutes les notes, toutes les confidences d’un architecte du XIIIe siècle, Villard de Honnecourt. Le docte et pénétrant investigateur auquel l’histoire de France doit tant de judicieuses recherches décrivit ce