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Il recourut à ses délibérations dans les affaires graves, telles que la paix et la guerre, les levées d’hommes et d’argent, les relations avec l’empire oriental, tandis qu’auparavant le conseil du prince suffisait pour les grands intérêts, et que le sénat s’était vu réduit de proche en proche au rôle d’une assemblée municipale. Stilicon voulut aussi qu’il conservât la liberté de certaines cérémonies religieuses inhérentes à ses attributions civiles, sans toutefois lever les restrictions apportées par Théodose à l’exercice de l’ancien culte, ni lui rendre les subventions que ce culte recevait jadis de l’état. Une des choses qui concilièrent le plus au régent la faveur des habitans de Rome, ce fut le dessein qu’il laissa percer d’y ramener un jour l’empereur et le siège de l’empire, afin de rajeunir l’autorité des césars en la retrempant pour ainsi dire dans les souvenirs de la ville éternelle. L’aristocratie applaudissait à ses généreuses pensées et venait grossir sa cour : Symmaque l’encourageait, Claudien le chantait, le sénat lui votait des statues, et Flavius Stilicon s’enivrait de cet encens ; mais dans le fond il restait toujours aux yeux de Rome un Romain de hasard, et moins que cela, un demi-barbare, un Vandale.

Cette hautaine aristocratie latine qu’il avait restaurée dans ses honneurs, dans ses richesses, dans une puissance qu’elle ne connaissait plus depuis longtemps, reprit bientôt, avec la sécurité, son arrogance vis-à-vis des princes chrétiens et sa haine contre le christianisme ; elle se remit à le harceler sourdement par une guerre de moqueries, de menaces, de calomnies, de prophéties prétendues, colportées dans les campagnes, et auxquelles hérétiques, juifs et philosophes mêlaient des clameurs d’une autre sorte. Si l’on ne criait plus, comme au temps de Tertullien : « Il pleut ! — les chrétiens au lion! » on disait tout haut : « C’est la faute de ces gens-là et de leur Dieu! » On fit circuler un oracle duquel il résultait que saint Pierre s’était servi de sortilèges pour faire adorer le Christ pendant trois cent soixante-cinq ans, mais qu’après ce laps de temps le christianisme périrait. Or, en plaçant la mort de Jésus-Christ à l’année 33 de notre ère, la chute de la nouvelle religion devait arriver en 398. Il n’en fallut pas davantage pour exalter l’audace des païens, qui se préparèrent de toutes parts à tomber sur les chrétiens. Stilicon, pour établir un contre-poids, fit rendre par son pupille une loi qui interdisait en Occident tous les sacrifices. La scène alors changea : ce furent les chrétiens qui s’armèrent pour consommer la ruine du paganisme; ils assaillirent les temples, brisèrent les statues, s’emparèrent des propriétés affectées au service des dieux; les magistrats des provinces toléraient ou dirigeaient eux-mêmes ce pillage, que le gouvernement dut enfin prohiber.