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de trapu ; ils virent qu’on pouvait beaucoup les amincir et y employer bien moins de matériaux. D’un autre côté, de fréquens accidens avaient prouvé que dans les églises du Xie siècle la poussée de la voûte avait été mal calculée; on chercha à y remédier. En suivant cette double tendance, on fut conduit à substituer la voûte d’arêtes à la voûte en berceaux et à préférer l’arc aigu au plein-cintre. L’arc aigu avait l’avantage d’opérer un bien moindre écartement et de faire porter l’effort sur des points isolés et certains. Ce changement ne fut pas d’abord systématique. L’ogive (pour employer le nom très impropre qu’on donne de nos jours à l’arc aigu) fut adoptée pour les grands arcs, qui poussent beaucoup ; le plein-cintre fut conservé pour les petits, qui poussent peu ou point. Une vaste compensation d’ailleurs fut cherchée dans les arcs-boutans et les contre-forts, sur lesquels toutes les poussées se réunissent. Les églises romanes en avaient, mais dissimulés et peu considérables. Ici, ils devinrent la maîtresse partie et permirent des légèretés inouïes. Les vides s’augmentent dans une effrayante proportion. Les reins puissans qui soutiennent toutes ces masses branlantes sont au dehors, et l’on arriva à réaliser cette idée singulière d’un édifice soutenu par des échafaudages, et, s’il est permis de le dire, d’un animal ayant sa charpente osseuse autour de lui.

Un souffle puissant semble dès lors pénétrer la basilique romane et en dilater toutes les parties. Devenue en quelque sorte aérienne, l’église nage dans la lumière, l’éteint, la colore à son gré. Les murs arrivent au dernier degré de maigreur. Les colonnes amincies et divisées en colonnettes ont l’air de n’être là que pour l’ornement. L’église semble l’épanouissement d’un faisceau de roseaux. Le style roman, qui vise surtout à la solidité, n’affecte pas les hauteurs extraordinaires; il offre plus de pleins que de vides; ses fenêtres sont petites, ses colonnes massives. Le gothique pousse le goût de la légèreté jusqu’à la folie. Les fenêtres étroites deviennent des baies -énormes qui font de l’édifice une cage à jour. Les galeries rudimentaires du style roman deviennent des églises superposées. Les lignes verticales se substituent aux lignes horizontales, les plans en saillie et en retrait aux surfaces unies. L’artiste, surtout avide de produire un sentiment d’étonnement et de terreur, ne recule pas devant des moyens d’illusion et de fantasmagorie. Il dissimule, au moins sous certains profils, ses moyens de solidité. Cette voûte semble poser sur des colonnettes, tandis qu’elle pose en réalité sur les murs latéraux. Ces murs eux-mêmes étiraient par leur peu de masse; mais au dehors une forêt de béquilles, s’il est permis de s’exprimer ainsi, supplée à leur insuffisance. Ces fenêtres sous la voûte produisent une sorte de terreur; mais cette voûte est soutenue d’ailleurs. Les frêles