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pour ce qu’il est réconforté de l’espérance qu’il a aux cures que la femme prendra de lui à son retour, aux aises, aux joies et aux plaisirs qu’elle lui fera ou fera faire devant elle, d’être deschaux[1] à bon feu, d’être lavé les pies, avoir chausses et souliers frais, bien peu, bien abreuvé, bien servi, bien seignouri, bien couchié en blancs draps et couvre-chefs blancs, bien couvert de bonnes fourrures, et assouvi des autres joies et esbattemens, privetés, amours et secrets dont je me tais. Et lendemain, robes-linges[2] et vêtemens nouveaux. Certes, belle sœur, tels services font amer et désirer à homme le retour de son hostel et veoir sa preude femme et estre estrange des autres. Et pour ce je vous conseille à reconforter ainsi vostre autre mary[3] à toutes ses venues et demeures, et y persévérez. »

Il y avait dans ce goût délicat du chez soi le germe d’une solide moralité bourgeoise qui, si elle n’eût été étouffée par les élémens plus légers venus du midi au XVIe siècle, eût fait de nous une nation sérieuse à la façon anglaise. Mais que ce bon bourgeois, si heureux de trôner dans son hôtel du quartier des Tournelles, est différent d’un bourgeois de Pise ou de Florence ! La naissance de l’art est accompagnée d’une certaine facilité dans les mœurs. Conduite par l’austère université, la bourgeoisie ne voyait dans le luxe, fort critiquable, il est vrai, des princes du sang, que des déréglemens et une augmentation des taxes. En Italie, tout était pardonné à celui qui embellissait la cité et créait des monumens dignes d’un peuple libre. En France, cela s’appelait des prodigalités, de l’argent perdu. Florence, dépeuplée par la peste, applaudissait à la seigneurie qui commandait les portes du baptistère; en France, Hugues Aubriot, le promoteur des grands travaux de Paris, était considéré comme un oppresseur: on l’accusait d’hérésie et d’incrédulité; il n’échappait au feu que par un hasard, et le peuple poursuivait ses partisans comme les ennemis de Dieu.

La religion de la France enfin, beaucoup plus profonde que celle de l’Italie, ne la portait pas autant vers les créations délicates. L’église n’avait plus l’enthousiasme qui, pendant le XIIe et le XIIIe siècle, inspira tant d’œuvres originales. Elle semble obéir en général aux tendances mondaines qui entraînent le siècle loin de la mysticité pure et élevée de saint Bernard, de saint François d’Assise, de saint Bonaventure. La foi était intacte encore, mais elle tournait à la routine, elle n’inspirait plus rien de grand. Le catholicisme français a déjà sa nuance triste et austère. Une église comme Santa--

  1. Déchaussé.
  2. Chemises.
  3. L’auteur du Ménagier, par une pensée délicate, suppose toujours qu’étant vieux, ses conseils ne serviront à sa femme que pour le mari qu’elle prendra après lui.