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mille hommes, quand le commandant français n’en avait que deux mille. L’Espagne ne voulait pas ce que nous voulions, elle était odieuse aux Mexicains, parmi lesquels nous nous flattions d’être populaires, et c’était à elle que nous laissions prendre, par la supériorité numérique de ses troupes, la prépondérance dans l’alliance ; nous abandonnions implicitement la conduite politique de l’entreprise à cet illustre rêveur de Vichy, parti pour être un héros, et, à notre grande confusion, revenu diplomate.

Dans une affaire ainsi conduite, nous n’avons pas plus été d’accord avec nos principes qu’avec nos intérêts. Nous ne pouvions mettre en avant dans cette guerre que nos réclamations légitimes en faveur de nos nationaux indignement spoliés depuis trente années ; quant à la chute du gouvernement actuel du Mexique, elle pouvait être la conséquence de la guerre, si la nation soulevée voulait punir ce gouvernement de n’avoir pas su ou voulu détourner la calamité d’une invasion étrangère : si un tel mouvement emportait Juarez, nous devions sans doute, en respectant l’indépendance des Mexicains, prêter notre concours à l’établissement au Mexique d’un gouvernement honnête et modéré ; mais la chute de Juarez ne pouvait être pour nous l’objet légitime et raisonnable de la guerre : elle ne pouvait être à nos yeux qu’une éventualité à prévoir. Tout au plus avions-nous le droit de la désirer ; si nous avions l’arrière-pensée de l’accomplir, la décence et l’habileté nous prescrivaient de cacher cette arrière-pensée, et de ne la produire que lorsque nous y serions invités par la faveur de l’événement et de l’occasion. Commencer la guerre en disant que nous ne voulions pas traiter avec Juarez, c’était manquer aux principes de la France et aux conditions élémentaires de l’art politique ; c’était désavouer les principes de la révolution française, car ces principes nous interdisent d’imposer aux autres peuples des gouvernemens qu’ils n’auraient pas choisis, livrés aux inspirations spontanées de leur indépendance ; c’était débuter avec le Mexique comme les alliés firent envers Napoléon lorsqu’ils refusèrent de traiter avec lui, La formalité du suffrage universel agitée comme une promesse, et dont M. Billault fait tant d’ostentation, ne change rien à l’injustice et à la brutalité du fait ; elle ajouterait l’hypocrisie à l’usurpation, et, quant à nous, nous remercions les alliés de n’avoir pas eu en 1814 et 1815 la pensée d’accroître les humiliations de la France en présentant à la consécration d’un suffrage universel déshonoré par la présence et la pression des baïonnettes les œuvres de la force et les jeux de la fortune. Ouvrir la guerre en annonçant la résolution de ne pas traiter avec Juarez, c’était manquer également aux premières notions de la prudence pratique. On ne fait la guerre que pour arriver à la paix, et, à moins d’être insensé, pour arriver à la paix la plus prompte et la mieux garantie. La première condition pour que la guerre soit courte, c’est qu’il y ait à la tête du pays que l’on combat un gouvernement avec qui l’on puisse traiter ; pour que la paix soit sérieuse, il faut que le gouvernement avec qui l’on traitera conserve autant que pos-