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surtout, où son séjour se prolongea. Ravenne commença dès lors à disputer à Milan le siège du gouvernement impérial. Cette prédilection pour une ville maritime, inaccessible par terre, tandis que Milan se trouvait sur le chemin de toutes les invasions barbares, sembla répondre à une secrète préoccupation du jeune prince et de son ministre. On vit bientôt des levées extraordinaires s’exécuter en pleine paix avec une rigueur excessive, et toutes les exemptions du service militaire suspendues, même celles des clercs, même celle de la corporation chargée de l’ensevelissement des morts; on put alors se demander quelle guerre était imminente, et l’on tourna les yeux du côté d’Alaric, le seul ennemi qui restât à l’Italie. C’était lui en effet qu’avaient pour but ces mesures de prévoyance et d’autres encore prises par Stilicon pendant le cours de cette année.

Les révolutions qui s’étaient opérées depuis un an dans le monde romain oriental, l’apaisement des troubles d’Afrique, la chute d’Eutrope, la révolte des Goths de Tribigilde en Galatie, la guerre que ceux de Gaïnas poursuivaient en Thrace et jusqu’aux portes de Constantinople, tout cela avait changé la situation d’Alaric dans son gouvernement de l’Illyrie. Arcadius paraissant trop chargé d’embarras pour pouvoir en susciter à autrui, le roi des Goths ne savait plus que faire de son peuple et redevenait chef barbare pour son propre compte. L’étrange magistrat romain avait d’ailleurs épuisé sa province; occupans et occupés mouraient de faim, et suivant toute apparence aucun subside ne lui arrivait plus de Byzance; force lui était de chercher un autre cantonnement dans un pays riche qui n’eût point souffert de pillages ennemis : or l’Italie présentait ces deux conditions. Alaric était donc là, rôdant autour de la frontière où le gouvernement d’Orient l’avait jeté, avançant, puis reculant, comme une bête fauve qui prépare l’attaque d’une bergerie. Ces différens mouvemens et l’apparition de quelques pillards de son armée avaient motivé les inquiétudes de Stilicon, qui mettait en état de défense les villes de la Vénétie. Enfin dans l’automne de l’année 400, Alaric, excité par une bande d’aventuriers huns venus sans obstacle à travers les Alpes, se hasarda jusqu’à la hauteur d’Aquilée, pilla un peu, et, voyant le pays assez bien gardé, rentra dans son cantonnement.

Il en avait assez vu pour ne point se risquer davantage ; mais en même temps il rapporta de sa courte expédition un désir impérieux de quitter la Grèce. Jeune, ardent, rêvant des aventures éclatantes, comme ses grossiers compagnons rêvaient le pillage, fier de la force brutale qu’il tenait sous sa main, mais non moins jaloux d’honneurs, de richesses, de considération, de tout ce que donne la vie civilisée et que la vie barbare ignore, Alaric hésitait entre deux idées ex-