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laborieuse. En vérité le président du corps législatif a étonné le public par une révélation si imprévue. Le public n’a rien connu des travaux de la chambre, car il n’a pas pu considérer comme d’extraordinaires labeurs la joute oratoire de l’adresse et les huit ou dix jours consacrés au budget de la réforme financière. Que la commission des finances ait travaillé longuement, soit ; mais elle comprenait moins de vingt membres de la chambre, et nous ne nous sommes pas aperçus que l’on ait rien donné à faire aux autres députés. Aucune loi de quelque importance n’a été votée. Il est vrai qu’un projet sérieux avait été présenté, le projet concernant les sociétés de commerce : il s’agissait d’une réforme attendue et réclamée par l’industrie française, et qui peut lui procurer par les conditions libérales de l’association les capitaux dont elle a besoin ; mais le travail de la confection des lois est chez nous plus imparfaitement organisé qu’on n’a l’air de le croire. Notre machine se compose de trop de rouages, et ces rouages, ne s’engrenant pas, tournent à vide. Ce qui est arrivé pour la loi sur les sociétés de commerce en est la preuve. L’initiative d’une telle loi doit appartenir à l’homme d’état économiste, car ce sont surtout de grands et heureux effets économiques qu’on en doit attendre. Le projet, tel qu’il était sorti du ministère du commerce, avait donc surtout le caractère commercial ; mais du ministère du commerce il a du passer au conseil d’état. Là, le point de vue a changé : c’est dans un esprit juriste et réglementateur que le conseil d’état a compris la loi et l’a remaniée. Le projet tel qu’il a été présenté à la chambre en sortant du conseil d’état était hérissé de tant de restrictions et de pénalités, que la valeur économique en était altérée. La chambre, qui a tant fait, suivant son spirituel président, et qui en effet aurait eu tant à faire, ne fût-ce que pour tuer le temps, a reçu le projet des sociétés trop tard pour pouvoir le convertir en loi. Nous ne doutons pas qu’au corps législatif ce projet n’eût subi une nouvelle transformation, qui l’eût mieux accommodé aux besoins pratiques de l’industrie française ; mais il nous faut attendre une année pour voir se vérifier à cet égard la bonne opinion que nous avons du corps législatif. Ainsi, trois ans après la conclusion du traité de commerce avec l’Angleterre, nous n’aurons pas encore placé notre législation sur les associations industrielles à la hauteur de la législation anglaise. Le remaniement du budget opéré par la commission des finances, la confusion bizarre qui a régné dans la discussion de l’impôt des chevaux et des voitures, sont d’autres exemples du peu d’harmonie qui règne dans notre travail législatif. On en arrive, par suite de ce défaut d’harmonie, ou à laisser ajourner par nonchalance des lois importantes d’année en année, ou à improviser une loi d’impôt au sein d’un débat incohérent. Pourquoi le gouvernement prend-il l’habitude de lancer dans chaque session quelque projet de loi qui excite la curiosité et l’attente, une fois le drainage, une autre fois le crédit agricole, aujourd’hui les sociétés à responsabilité limitée, sans plus pousser à l’exécution que s’il n’avait besoin que d’écrire des