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sources, abandonnant la ferme qui lui était réservée, accablé des malédictions du bonhomme d’oncle, va s’établir comme médecin au Bourguy avec celle dont il a fait sa femme. L’histoire, jusque-là, ne laisse pas d’être vulgaire. Ce n’est, à tout prendre, que le prologue.

Antoine Quérard va-t-il du moins être heureux dans cette situation nouvelle de son choix? Bien au contraire, l’enfer commence pour lui. En apparence, tout lui sourit sans doute. Il prospère comme médecin, il est entouré de la considération de tous. Sa femme est une honnête personne, une placide ménagère qui se renferme dans son foyer, dans sa maison, et qui s’occupe à peine de ce qui se passe autour d’elle. Voilà le ver rongeur pour Antoine Quérard! Ni le succès, ni le bien-être matériel, ni la considération ne lui suffisent. Le calme vulgaire de sa femme semble une ironie à son âme toujours ardente, et il se livre au tourment intérieur; il devient sombre, il s’oublie à errer dans la campagne en allant voir ses malades, et il promène partout des désirs inassouvis. Il s’épuise dans des luttes obscures, lorsqu’un jour il fait une terrible découverte : c’est que la réalisation humaine de son rêve, ce n’est pas sa femme, c’est la sœur de sa femme. Rosette, une jeune fille à la beauté ardente, au corps plein de dangereuses séductions. Rosette aime-t-elle son beau-frère de son côté? Elle n’y songe guère; seulement elle a des curiosités de femme, des hardiesses de jeune fille élevée fort librement, l’instinct d’une nature débordant de vie. Je ne sais si elle se livre par passion et volontairement; elle ne se défend pas, et un jour le lien se trouve formé. Un moment de fièvre des sens a fait de la jeune fille la maîtresse d’Antoine Quérard. Ce n’est pas tout : bientôt Rosette se sent mère, ou plutôt c’est le médecin qui surprend dans une défaillance de la jeune fille ce terrible secret. Alors se déroule pour Antoine Quérard une effroyable situation. Il veut étouffer ce redoutable secret, et il n’a d’autre moyen que de recourir à son art pour détruire le germe d’un être que Rosette porte dans son sein. Il est emporté par une inexorable logique. Ce qu’il fait une première fois, il est conduit à le faire une seconde fois ; il épuise toutes les ressources de sa profession sur cet être souffrant, auquel il s’attache encore plus par le crime. Cela même n’est rien. Rosette lui a donné son corps, elle a donné son cœur à un autre, à un jeune homme qui l’aime, qui est prêt à demander sa main, et Antoine Quérard, sans redouter ce rival auquel il se sent supérieur, n’est pas moins mordu en certains instans par la jalousie. Il vit dans les angoisses, tantôt ramené au crime, tantôt sentant dans une hallucination fiévreuse la main de la justice s’abattre sur lui, et ce drame s’accomplit sans que personne ait un soupçon: il s’accomplit jusqu’au bout : il se dénoue par la mort de la jeune fille. Quant à Antoine Quérard, il vit quelque temps encore, morne, l’âme troublée, pleine de remords et de défiances, et un jour on le trouve dans son cabinet, devant sa table, immobile, inerte, frappé d’une apoplexie foudroyante, et ayant devant lui un papier où il a écrit : « Ceci est ma con-