Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

unissent ou divisent les gouvernemens et les peuples. Les scrupuleux déplorent un mal incurable : les nécessités et les convenances politiques, soit de crainte, soit d’espérance, sont trop puissantes pour que les sentimens personnels les fassent taire ou les surmontent. Au jour de leur mariage, comme en bien d’autres circonstances de leur vie, les grands du monde ont à payer, quelquefois bien cher, le prix de leur grandeur ; elle leur coûte souvent du bonheur et à coup sûr de la liberté. On dit que l’empereur Nicolas, quand il s’agissait de mariage, tenait grand compte des inclinations de ses enfans, et j’ai vécu auprès d’une famille royale dans laquelle les affections et les vertus domestiques occupaient une grande place. Je souhaite que telles deviennent partout les mœurs des rois ; mais j’incline à croire qu’à parler en général, notre siècle et ceux qui le suivront ne différeront pas beaucoup à cet égard de ceux qui les ont précédés.


II.

En 1623, vingt ans après le règne puissant et populaire de la reine Élisabeth, trois hommes, mal assortis entre eux et mal appropriés à leur temps, le roi Jacques Stuart Ier, son fils Charles Stuart, prince de Galles, et leur favori commun, George Villiers, duc de Buckingham, disposaient ensemble du gouvernement de l’Angleterre .

Le roi Jacques Ier ne manquait ni d’esprit ni de savoir ; mais il les étalait vaniteusement dans ses entretiens et dans ses écrits, bien plus qu’il ne s’en servait habilement et avec fruit dans le gouvernement de ses états. Encore presque enfant et en Écosse, il eut un jour à recevoir un ambassadeur étranger ; l’audience se passait en latin ; l’ambassadeur commit quelques fautes grammaticales ; le jeune roi s’empressa de les relever : « Comment avez-vous fait de votre illustre, pupille un pédant ? » demanda le lendemain l’ambassadeur au précepteur royal, le célèbre historien Buchanan. « Bienheureux, dit Buchanan, d’avoir pu en faire même cela ! » En Angleterre comme en Écosse, Jacques resta toute sa vie un pédant subtil et prolixe, astucieux avec vanterie et entêté sans vigueur. Il était poltron en même temps que disputeur, mêlait des instincts pusillanimes à des prétentions hautaines, et redoutait le péril autant qu’il se plaisait à la controverse. Il avait les nerfs étrangement susceptibles et faibles ; un bruit soudain, une apparition inattendue le faisaient tressaillir d’effroi ; ses grands yeux roulaient incessamment de tous côtés quand un étranger était devant lai. Son pourpoint et tous ses vêtemens étaient fortement doublés et piqués pour le mettre à l’abri du poi-