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Impatienté de ces incertitudes et toujours incertain lui-même entre le mariage espagnol et le mariage français, le roi Jacques résolut de donner à la cour de Madrid un coup d’éperon en renouvelant auprès de la cour de Paris la démarche qu’il avait déjà vainement tentée. Louis XIII et Anne d’Autriche venaient de faire, le 16 mai 1616, leur entrée solennelle à Paris, au milieu des bruyantes joies de douze mille bourgeois réunis en armes dans la plaine de Montrouge, et qui, charmés de trouver leur jeune reine plus belle qu’on ne l’avait dit, déchargèrent leurs mousquets sur son passage, au grand trouble de l’infante, dont les mulets qui traînaient sa litière prirent peur, ce qui la mit un moment en péril. Jacques, pour qui ce mariage de Louis XIII avait été à Madrid un si désagréable échec, s’empressa d’envoyer à Paris un ambassadeur pour l’en féliciter, espérant trouver là une occasion de prendre sa revanche. Il chargea de cette mission lord Hay de Sawley, plus tard comte de Carlisle, gentilhomme écossais dont sa faveur avait fait la fortune, et l’un de ses plus brillans courtisans. La prodigalité magnifique de lord Hay était à Londres un sujet de curiosité et d’admiration populaires : on disait qu’à l’une de ses fêtes un des serviteurs du roi avait mangé à lui seul un pâté chargé de musc et d’ambre qui avait coûté dix livres sterling, et que, pour un dîner somptueux donné à l’ambassadeur de France, il avait fait venir de Russie des esturgeons si énormes qu’il avait fallu faire faire exprès à Londres des plats pour les contenir. Arrivé à Paris, lord Hay ne pouvait manquer une si belle occasion d’étaler sa magnificence ; quand le jour de son audience fut fixé, il mit en délibération la question de savoir s’il se rendrait au Louvre avec sa suite en carrosse ou à cheval. Le premier mode fut écarté, comme ne laissant pas voir la splendeur des costumes, et il fut décidé que toute l’ambassade irait à cheval, superbement vêtue et enharnachée. « Six trompettes et deux écuyers en habit de velours brodé d’or ouvraient le cortège, dit un contemporain; l’ambassadeur venait après, entouré d’un grand nombre de pages dans la même riche livrée, et toute sa maison suivait deux à deux, tous en bel ordre d’équipage. Le cheval de l’ambassadeur était ferré, dit-on, de fers en argent légèrement attachés. En arrivant à une place où de belles dames de haut rang s’étaient réunies pour le voir passer, il fit caracoler et piaffer son cheval, qui lança ses fers de côté et d’autre. La foule se précipita pour s’en saisir, et l’ambassadeur resta là à se faire admirer jusqu’à ce qu’un maréchal ferrant ou plutôt l’argentier de sa maison s’approchât en brillante livrée et tirât d’un coffre recouvert en velours d’autres fers en argent qui durèrent jusqu’à la station suivante. Avec cette pompe et à pas lents, l’ambassadeur atteignit enfin le Louvre. »

Son succès politique ne répondit pas à sa splendeur extérieure :