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génie aux calculs de la prudence et de la méthode, il résolut d’aller en personne finir cette malencontreuse guerre de Rhétie et ramener ses troupes, se flattant d’avoir tout achevé avant que les Goths eussent atteint la Vénétie, ou du moins qu’ils en fussent sortis. Il donna des ordres pour que Milan, où l’empereur était renfermé, fût mis en bon état de défense et reçût une forte garnison; puis il gagna précipitamment le lac de Côme, qu’il traversa sur une barque avec quelques compagnons. Au pied de la montagne, il prit un sentier plus raide et plus difficile que la route ordinaire, mais qui conduisait plus promptement au but de son voyage. Un froid précoce couvrait de neige cette partie des Alpes, et la route n’était pas sans danger : Stilicon pourtant s’y aventure à cheval, presque seul, sans provisions, mangeant ce qu’il trouve, et s’abritant la nuit tantôt dans une caverne, tantôt sous le chaume d’un pasteur. Son apparition miraculeuse exalte le courage des légions; mais ce n’est pas tout : il veut voir lui-même les bandes ennemies, se présenter à elles, les gagner à sa cause. Des Barbares qui les composaient, les uns avaient fait la guerre sous lui comme fédérés; il avait combattu les autres comme général : tous le connaissaient. Pour ceux-là, il était le Romain Stilicon; pour ceux-ci, Stilicon le Vandale, le premier, le plus grand des Barbares. A son approche en effet ils déposent les armes. Stilicon les leur rend. « Venez avec moi, leur dit-il, et soyez soldats de l’empire. » L’argent distribué à propos aide à la séduction de ses paroles. Il choisit dans ses ennemis de la veille les plus braves et les mieux disposés, et les incorpore à ses troupes. Les légions de la Gaule étaient arrivées depuis peu. Il compose de tous ces élémens une bonne et forte armée, à laquelle il ordonne de le suivre ; puis, prenant les devans avec un gros de cavaliers, il redescend la montagne par la route qui longeait le côté oriental du lac de Côme et la rive gauche de l’Adda.

Cette expédition, si accélérée qu’elle eût été, avait duré quelques semaines, et pendant ce temps-là Alaric était arrivé. Informé de tout ce qui se passait par de nombreux espions italiens ou barbares qu’il payait très grassement, il avait su le départ de Stilicon ainsi que le motif de son absence, et il avait immédiatement formé le projet d’enlever l’empereur. « Frappé de terreur, éloigné de tout secours, Honorius, se disait-il, acceptera toutes les conditions qu’il me plaira de lui imposer. » Sans s’arrêter donc à faire le siège des villes de la Vénétie ou de l’Emilie, il se dirigea sur Milan à maiche forcée. Il occupait le pont de l’Adda et les deux rives du fleuve, quand Stilicon, vers la tombée de la nuit, donna dans ses avant-postes. Cette rencontre et la multitude de feux qui scintillaient dans la campagne comme des étoiles apprirent au régent ce qui s’était