Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux escadrons auxiliaires le temps de se reformer. Le combat se rétablit; mais la journée fut rude et sanglante. Stilicon se portait sur tous les points qui semblaient menacés, remplissant le double rôle de général et de soldat. Une manœuvre heureuse amena les légions jusqu’au camp d’Alaric, qui fut attaqué et pris : le roi goth perdit alors courage et donna le signal de la retraite. Tout le butin des Barbares resta au pouvoir du vainqueur : c’étaient des chariots pleins d’or et d’argent, des vêtemens somptueux, des vases, des statues, fruits des dévastations de la Grèce. Les Goths fugitifs semaient ces trésors devant les pas des Romains pour arrêter leur poursuite; mais le légionnaire songeait plus à tuer qu’à piller. Le butin le plus précieux aux yeux de Stilicon fut la femme d’Alaric prise avec ses enfans dans sa maison roulante. On trouva aussi dans le camp une foule de captifs italiens ou grecs, dont cette victoire brisait les fers. Rendus à la liberté après de longues souffrances et ne sachant comment exprimer leur joie, ces malheureux embrassaient les genoux de leurs libérateurs et couvraient de baisers des mains dégouttantes de sang.

Alaric, pendant ce temps-là, faisait retraite le long du Tanaro, abrité par la forêt, et se réfugia dans les murs d’Asti. Stilicon vint l’en débusquer, et il y eut encore sur les bords de la petite rivière appelée la Ville un combat où les Romains eurent l’avantage. Passant alors le Tanaro, Alaric se retrancha dans une position formidable sur un des mamelons de l’Apennin. Il eût été difficile de l’y forcer, et une bataille perdue ou bien une marche désespérée du Balthe pouvait mettre la Toscane, Rome même en danger : Stilicon préféra ouvrir l’oreille à des propositions. Pour témoigner d’un sincère désir de conciliation, il renvoya au Barbare sa femme prisonnière, ne gardant près de lui que ses fils. Ce fut Stilicon qui posa lui-même les conditions de la paix, et il ne les dicta pas trop dures. Il fut convenu qu’Alaric sortirait de l’Italie par le même chemin qu’il y était entré, sans commettre ni vexations ni dégâts : ses enfans devaient servir de gages à la fidélité de ses promesses.

Il repassa donc le Pô dans l’attitude d’un vaincu, et traversa de nouveau la Ligurie sans s’arrêter. L’armée romaine le suivait en bon ordre avec toute la confiance de la victoire et le ferme propos d’exterminer les Goths, s’ils faisaient mine de violer le traité. Cependant toutes les humiliations pleuvaient sur cet homme, jadis si fier; la désertion se mit dans son armée; les soldats lui redemandaient leur butin et leurs familles, et il avait à subir chaque jour les reproches de ceux dont il avait repoussé les avis. L’idée de reparaître en fugitif dans son gouvernement d’Illyrie, toujours présente à son esprit, le déchirait surtout comme une insupportable torture. Il n’y