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tint plus, lorsque, parvenu dans sa retraite entre le Mincio et l’Adige, il vit dans la forte place de Vérone un moyen de renouveler la lutte et de rappeler peut-être la fortune : il s’y jette donc, s’y renferme et défie Stilicon. La guerre recommence alors aux bords de l’Adige, acharnée des deux parts et presque sans quartier. Le siège durait : la famine et la peste se mirent dans cette malheureuse ville; les Goths surtout souffraient, et leur mécontentement contre le chef qui les sacrifiait ainsi à son orgueil alla jusqu’à la sédition. Alaric, désespéré, quitte la ville à l’improviste, et se réfugie dans la vallée de l’Adige, pour gagner de là la Rhétie, ou, s’il le peut, les Gaules; mais Stilicon le bloque de toutes parts. En vain retranché comme un lion dans une citadelle de rochers, il brave les menaces des soldats romains qui amènent devant lui ses fils enchaînés, comme pour les égorger à ses yeux; en vain il déjoue toutes les ruses et repousse tous les efforts, la faim le chasse encore de ce repaire, car son cheval en est réduit à manger l’écorce des arbres. Recueillant tout ce qui lui restait de forces, il fait une trouée dans les lignes romaines, et parvient à s’échapper sans que Stilicon puisse ou ose l’arrêter. Telle fut la fin de la campagne de Pollentia.

Rome était délivrée du plus grand danger qu’elle eût couru depuis bien des siècles; tous les cœurs romains le sentirent, toutes les voix proclamèrent Stilicon le sauveur de la patrie. Les païens comme les chrétiens, le poète Claudien comme le poète Prudence se firent les interprètes de la reconnaissance générale, celui-là au nom des anciens dieux, celui-ci au nom du Christ : au fond, le sentiment était le même; les deux cultes se donnaient la main dans une étreinte fraternelle au sortir d’un péril commun. Rome chrétienne disait « notre Stilicon » comme Rome païenne « mon Scipion, mon Marius. » Les partis se taisaient, laissant parler l’Italie. On ne se doutait pas encore que ce n’était point Alaric, mais Stilicon qui avait été défait à Pollentia; qu’Alaric, quoique arien, était un chrétien fidèle et pieux qui ne voulait point combattre le jour de Pâques, tandis que l’impie Stilicon violait de gaîté de cœur la sainteté de cette fête, ou plutôt l’avait fait violer traîtreusement en livrant la conduite de la guerre à un général païen; qu’Alaric enfin avait été appelé en Italie par Stilicon lui-même, dans la pensée d’opprimer l’empereur, et que dix fois, pendant la campagne, le Barbare aurait pu être détruit, mais que Stilicon le laissait toujours échapper, le réservant au saccagement de Rome. Ces choses se dirent, s’écrivirent, se publièrent plus tard : on ne les avait pas encore imaginées; le temps de l’injustice et de l’ingratitude n’était pas venu pour cet homme, dont les services étaient trop récens. La gloire qui l’environnait alors était donc sans mélange. Il voulut la reverser en partie