Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sent d’instruire leur supérieur ou lui présentent des rapports plus ou moins exacts; les maires sont aussi de petits despotes gouvernant à leur guise ; les percepteurs ne tiennent pas leurs registres, et le désordre en est venu à ce point que le ministère de l’intérieur, qui concentre tous les détails de l’administration financière des communes, ne connaît ni la valeur des biens qu’elles possèdent, ni le montant des revenus qui leur sont assurés.

On conçoit sans peine les abus de toute sorte qui doivent naître de ce désordre dans un pays où une partie de l’impôt foncier est encore perçue en nature, et où par conséquent les portes sont toutes grandes ouvertes à des fraudes sans nombre. Le gouvernement hellénique, malgré de louables efforts, n’a pas encore réussi à s’en affranchir, et les contribuables, qui doivent payer annuellement environ 6 millions de drachmes[1], étaient débiteurs envers l’état, en 1856, d’un arriéré qui ne montait pas à moins de 17 millions. D’après la loi de 1855, qui régit actuellement la matière, ils acquittent aujourd’hui en argent presque toutes leurs charges: un seul produit, l’un des plus importans il est vrai, les céréales, est taxé en nature; mais l’impôt foncier, qui se perçoit d’ailleurs en partie par l’intermédiaire odieux des fermiers[2], repose tout entier sur des bases essentiellement incertaines. En France et dans tous les pays de l’Europe qui possèdent un cadastre, cet impôt est évalué d’après la nature des terres et les produits que la culture en peut tirer. Les ressources qu’il procure à l’état sont fixées par la loi. Elles ne varient que de loin en loin et uniformément, sous l’empire de nécessités transitoires, ou quand la pratique vient à démontrer qu’une modification est indispensable pour maintenir la proportion légalement établie entre les revenus et les charges. En Grèce, tout au contraire, ce n’est pas la qualité du sol, c’est le caprice du propriétaire qui détermine le montant de la contribution à laquelle il est assujetti. Elle est fixée annuellement d’après l’étendue et l’espèce

  1. Les prévisions de l’impôt foncier figurent au budget de 1 855 pour 5,500,000 drachmes et ont été évaluées pour 1859 à 6,870,000.
  2. L’impôt sur les céréales, les huiles, les cocons, les figues sèches, les raisins de Corinthe et en général les produits des forêts est affermé. Pour les céréales, le fermier prélève la dime en nature et acquitte le montant de son fermage également en nature. Il constate lui-même, et sans l’assistance d’aucun fonctionnaire public, tous les impôts dont il a la ferme. Toutefois le contribuable qui se croit lésé peut invoquer l’arbitrage du démarque ou de l’agent du fisc. De là une foule de fraudes envers l’état, de vexations envers les paysans qui ne peuvent invoquer un puissant patronage, de contestations irrégulières et de lenteurs. Le moindre inconvénient du système est le retard dont souffre inévitablement l’état dans la perception de l’impôt sur les céréales. Le fermier s’acquittant en nature des charges spéciales qui résultent pour lui de cet impôt, l’état en recueille seulement le bénéfice après la vente des produits en nature qui lui ont été livrés, c’est-à-dire vers la fin de la seconde année de l’exercice.