Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des cultures. Le champ qui ne produit rien ne doit rien à l’état. Dans tous les pays civilisés, l’impôt foncier est une cause d’émulation en même temps qu’il est une charge pour les classes agricoles; en Grèce, il décourage l’agriculture.

Une circonstance bien autrement grave que l’irrégularité des perceptions foncières est de nature à compromettre sérieusement en Grèce la fortune et la moralité publiques. Après l’expulsion des Turcs, l’état affranchi s’était trouvé légitime propriétaire des vastes terrains qu’ils possédaient. C’était alors l’unique source de ses richesses; les divers gouvernemens qui se sont succédé au pouvoir y ont souvent puisé pour reconnaître par des récompenses les services militaires de certains corps irréguliers, pour réunir les populations éparses ou fugitives, donner des bras à l’agriculture et occuper ainsi, au profit de tous, la menaçante anxiété des primats et des pallikares. On a doté les phalangistes, les crétois, les néophytes, les brulotiers, les marins ; on a fait à diverses époques de larges concessions à titre définitif ou provisoire. Depuis 1822, une foule de lois et d’ordonnances ont été rendues pour régulariser ces aliénations du domaine national, en facilitant aux concessionnaires l’acquittement des avances que l’état leur avait consenties. La plupart d’entre eux n’ont pas daigné faire usage des moyens qu’une législation paternellement indulgente mettait à leur portée. Les registres où Capo-d’Istria avait inscrit les premières concessions ne se retrouvèrent plus. La politique a fermé temporairement les yeux sur quelques usurpations, le temps en a consacré plus d’une. Il en résulte que le domaine national n’est pas limité et que par conséquent la propriété particulière, la propriété de bonne foi elle-même est irrégulière et indéterminée. En Grèce, nous pouvons le dire sans exagération, il n’est pas un citoyen qui puisse cultiver ses terres en parfaite sécurité et qui ne soit plus ou moins exposa aux réclamations du fisc : incertitude particulièrement périlleuse pour la moralité d’un peuple qui devrait demander l’achèvement de sa régénération aux labeurs de l’agriculture et qui jouit constitutionnellement de la liberté de ses votes[1].

Le gouvernement grec n’a pas apporté une sollicitude moins vive et, il faut le dire à regret, moins stérile à prescrire les règlemens qui doivent assurer la bonne et fidèle administration des douanes, des mines et des forêts. La nouvelle législation douanière, inaugurée en 1843, révisée en 1857 et dictée par des intentions libérales, protège suffisamment l’industrie à peine naissante par les taxes modé-

  1. Nous ne voulons pas dire que le gouvernement abuse de cette influence souveraine pour violenter les consciences. Il suffit qu’il en puisse disposer pour que, dans un temps de crise politique, l’indépendance du vote devienne tout à fait illusoire.