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Ces tristes erreurs entretiennent dans toutes les classes une fermentation continuelle; il est impossible qu’elles n’arrivent pas tôt Ou tard à déplacer les conditions sociales, à fausser même les directions et les intelligences. En Grèce, l’université fait tort aux champs : elle réunit dans la capitale tous les jeunes gens dont les familles peuvent subvenir à de modestes frais d’éducation, et elle n’enseigne pas seulement à ses élèves les sciences exactes et les arts libéraux. La jeunesse d’Athènes croit fermement que les destinées de la Grèce sont unies par des liens intimes et douloureux au sort de l’Italie, comme à celui de toutes les nationalités opprimées et misérables; elle se passionne pour les victoires que remportent ses frères d’infortune. Nous l’avons vue nous-même faire éclater ses enthousiasmes sous les fenêtres de la légation française, et fort peu soucieuse assurément des embarras qu’elle causait ainsi au gouvernement du roi Othon. Elle se croit déjà maîtresse de Constantinople et se déclare prête à suivre la bannière du premier aventurier qui voudra l’y conduire. Elle consacre une bonne partie de son temps à apprécier publiquement les mérites de tel ou tel fonctionnaire, les chances ou les avantages de telle ou telle combinaison; elle organise, à l’ombre mystérieuse des intimités de collège, d’innocentes conspirations; naturellement elle est bien convaincue que le gouvernement est animé d’intentions détestables, et que son égoïsme a démoralisé la nation en exploitant ses généreux instincts au profit des vues ambitieuses de la royauté. A ses yeux, le roi est un tyran et un oppresseur, et peu s’en est fallu récemment que ses passions irréfléchies n’aient cru voir un moderne Aristogiton dans le jeune fou qui a failli tuer la reine.

Le 18 septembre 1861, à neuf heures du soir, cette princesse revenait à cheval de la ferme qu’elle a fondée dans les environs d’Athènes, au pied du mont Parnès. Au moment où elle arrivait près du palais, entourée de son escorte ordinaire, un homme armé d’un revolver fit feu sur elle presque à bout portant, et la manqua. L’émotion l’empêcha de renouveler sa criminelle tentative. Saisi par une patrouille que le bruit de la détonation avait attirée sur les lieux, il remit tranquillement son arme au sous-officier qui la commandait, et se laissa conduire en prison sans résistance. Ce régicide avait dix-sept ans; son identité fut reconnue le soir même. On constata qu’il s’appelait Aristide Dosios, et qu’il appartenait à une des familles les plus respectables d’Athènes. Neveu d’Alexandre Mavrocordatos et allié par sa mère à tous les Phanariotes qui habitent la capitale de la Grèce, le jeune Dosios n’avait reçu dans sa maison que de nobles exemples. Son père est un des hommes les plus érudits et les plus recommandables d’Athènes; sa mère, qu’il a perdue, était douée