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sur son gendre en l’amenant dans Rome à la demande du sénat, comme pour rétablir la paix entre les empereurs chrétiens et la ville des dieux. Honorius y vint de Ravenne, escorté par l’armée victorieuse, et son entrée se fit dans un char triomphal, Stilicon debout à son côté. C’était la quatrième fois seulement depuis Constantin qu’un césar adorateur du Christ visitait la cité de Jules César et d’Auguste. Mû par un sentiment respectueux dont Rome lui sut gré, Honorius ne souffrit point que les sénateurs marchassent à pied devant son char, quoique ce fut le cérémonial consacré ; mais il y fit marcher l’un près de l’autre sa sœur Placidie et le jeune Euchérius, son beau-frère. Le sauveur de l’Italie était tout-puissant; rien pour le moment n’osait résister à ses désirs, et il voulut engager irrévocablement le mariage qu’il souhaitait avec tant d’ardeur, en montrant à la face du monde son fils et la fille de Théodose réunis côte à côte comme deux fiancés. Avoir brisé le caractère de l’orgueilleuse jeune fille ne fut peut-être pas la moindre victoire de Stilicon; mais ce fut son dernier triomphe.


IV.

Rome en effet sembla s’être réconciliée avec les empereurs chrétiens : Honorius y prit son sixième consulat au 1er janvier 404, et la date de ses lois témoigne qu’il y demeura une grande partie de l’année : c’était une exception notable et rare que des lois romaines fussent datées de Rome. Le sénat eût souhaité fy retenir toujours, et le poète, interprète du sentiment public, osa dire au prince, en faisant parler la ville éternelle : « Cent ans se sont écoulés depuis que les Césars ont déserté mes murs; pendant ces vingt lustres je ne les ai revus que trois fois, et chaque fois ils venaient m’offrir en spectacle les roues de leur char rougies de sang romain, comme si une pieuse mère pouvait se réjouir dans le deuil de ses enfans! Ceux qui avaient succombé étaient des tyrans, soit; mais leur perte n’en était pas moins une blessure à mon sein. Entre enfans de la même patrie, frères naguère sous le même drapeau, la victoire est sans honneur, et la défaite digne de pitié. César tirait vanité des combats livrés en Gaule; Pharsale, il n’en parlait pas!... Vos trophées, à vous, prince, sont purs de toute souillure civile ; conquis sur un Barbare furieux, ils absoudront les coupables triomphes qui ont affligé mes murailles ! » Ces belles et mélancoliques paroles durent pénétrer au fond de toutes les âmes. Il y avait plus qu’un noble courage à les prononcer devant un fils de Théodose : avouées par lui, dictées peut-être par Stilicon, elles prenaient l’importance d’une déclaration politique et d’un engagement de liberté pour l’avenir.