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Rome voulait recouvrer un ancien droit ; Milan en revendiqua un nouveau. Devenue, dans l’organisation tétrarchique de Dioclétien, la résidence de l’Auguste d’Italie, cette ville se regardait depuis plus d’un siècle comme la métropole de l’Occident. Elle avait donc envoyé dès la fin de la guerre une députation à Ravenne pour combattre la députation de Rome, dans ses prétentions sur l’empereur et le siège de l’empire : le droit de Milan se fondait sur une possession centenaire, ainsi que l’exposait un mémoire dressé par la municipalité elle-même, et que devait soutenir l’ex-consul Mallius Théodorus, chef de la députation. Le plaidoyer de Milan ne prévalut pas contre celui de Rome, mais les deux villes continuèrent la lutte avec une vivacité qu’expliquaient assez l’orgueil et l’intérêt municipal. Honorius les mit d’accord en choisissant Ravenne, séjour qui convenait à son caractère timide et à ses occupations puériles, bien mieux que Milan, où l’on courait risque d’être surpris par un coup de main, et que Rome, où, après tout, la postérité de Théodose se trouvait mal à l’aise en face d’une aristocratie hautaine, exclusive, polythéiste par situation ou par devoir.

L’année suivante, car les périls s’accumulaient sur Stilicon comme pour éprouver son génie, un danger nouveau et plus grand, parti non plus de l’est, mais du nord de l’empire, fit oublier dans Rome Alaric et les frayeurs de Pollentia. Les Huns, maîtres des steppes du Dnieper d’où ils avaient balayé les Visigoths, s’avançaient vers la frontière romaine par un progrès irrésistible. Chaque année, le camp de chariots où siégeait leur roi faisait un pas de plus le long du Danube. Ils occupaient maintenant le grand amphithéâtre des Carpathes et fondaient au milieu des marécages de la Theiss cette domination qui fut si longtemps le fléau de l’Europe. Tout cédait ou fuyait devant ces hordes hideuses où l’imagination des Germains, croyait voir une armée de démons, issus du commerce impur des sorcières avec les esprits infernaux. Des peuples de toute race, refoulés, déplacés, encombraient la vallée du Danube, se croisant, se choquant, se culbutant les uns les autres. Comme un lac soulevé qui se creuse un passage, cette masse de nations, pressée à l’est et au nord, déborda vers l’ouest et le midi. Deux grands courans d’émigration se formèrent : l’un qui menaçait l’Italie par les Alpes, à travers la Pannonie, l’autre qui, remontant le Danube sur ses deux rives, marchait dans la direction de la Gaule.

Le premier courant déboucha sur la Ligurie par les Alpes tridentines, à l’improviste, et avant qu’aucune mesure eût été prise pour fermer les passages. C’était une multitude confuse d’hommes, de femmes, d’enfans, appartenant à toutes les races, parlant tous les idiomes barbares. On y comptait, les uns disent deux cent mille, les