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territoire le matériel nécessaire à l’armée française qui fit le siège d’Anvers. Leurs attelages étaient épuisés, leurs routes étaient défoncées, et, si l’on s’en souvient, le fameux mortier monstre du général Paixhans était accusé d’avoir à lui seul causé de très sérieux dégâts. S’il en était ainsi de l’effet produit par le transport du matériel d’une armée qui n’emploie en général que des objets dont les unités représentent seulement des poids très peu considérables et peuvent se diviser presque à l’infini pour augmenter la facilité des transports, que devait-ce être lorsqu’il fallait assurer les approvisionnemens des arsenaux, où il s’emploie tant d’objets encombrans et pesans qui ne peuvent pas être divisés? Il y avait même de ces objets, comme les mâtures, les vergues, les courbes, les canons de gros calibre, les grandes ancres, les caisses à eau, etc., qui ne pouvaient être transportés en quantités utiles que par mer, par la voie fluviale ou par les canaux. On se rappelle sans doute que l’exécution des canaux de Bretagne fut ordonnée par l’empereur Napoléon surtout en vue d’assurer les approvisionnemens du port de Brest, qu’il était devenu presque impossible de ravitailler et d’entretenir par la voie de terre. Tout cela est fort changé maintenant : les chemins de fer, qui couvrent toute l’Europe de leur réseau, n’ont pas seulement agrandi le rayon dans lequel les arsenaux peuvent trouver un marché pour se pourvoir, mais ils ont aussi économisé les frais de travail et d’argent que la marine avait à faire autrefois de ce chef. Ainsi par exemple, avec les chemins de fer, qui vont aujourd’hui par une ligne continue de Saint-Pétersbourg à Toulon, à Rochefort, à Cherbourg, qui l’année prochaine iront à Lorient et à Brest, il serait infiniment plus simple et beaucoup moins coûteux de demander des bois de mâture en Pologne ou en Russie qu’il ne l’était sous l’empire d’aller en prendre en Suisse ou dans les Vosges, quoique la Suisse et les Vosges parussent avoir presque à portée, pour faire descendre leurs produits sur le bord de la mer, les vallées de la Saône, du Rhône et de la Loire. En ce temps-là, il était assez juste d’estimer les ressources matérielles d’une marine sur les ressources qui étaient emmagasinées dans ses arsenaux ; l’apport éventuel des autres était chose trop incertaine et trop difficile à assurer, comme aussi il était assez raisonnable de calculer la puissance de production des arsenaux sur l’importance de leurs ateliers et sur le nombre des ouvriers qu’ils employaient. C’était le temps où le vaisseau de ligne à voiles régnait sur les océans non-seulement à raison de la force militaire qu’il représentait, mais aussi à raison de la grandeur tout à fait exceptionnelle de ses dimensions, de la taille des pièces de bois ou de fer qui entraient dans sa construction, des engins qui composaient son armement. Il y a trente ans, un navire marchand de 5 ou de 600 tonneaux était encore montré presque comme une merveille