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il conclut avec cette maison un traité par lequel elle s’engageait à avoir fourni au 1er avril 1856 quatre-vingts machines à vapeur de la force de 60 chevaux chacune, c’est-à-dire à peu près une machine par jour. Le traité fut exécuté dans toute sa teneur, et si bien exécuté qu’à la date convenue les machines n’avaient pas seulement été livrées, mais qu’encore elles étaient montées à bord des navires qu’elles devaient armer. Ce sont des faits qui ont eu l’univers pour témoin. Le 24 avril 1856, nous assistions, nous aussi, à la revue que la reine passa de sa flotte dans la rade de Spithead, et nous y trouvions cinquante bombardes toutes prêtes à entrer en campagne; nous y voyions défiler cent quarante canonnières à vapeur, complètement armées, équipées, pourvues, marchant, manœuvrant, tirant le canon sous les yeux de plus de cent mille spectateurs. C’était la création des mois d’hiver qui venaient de s’écouler, c’était l’avant-garde d’une armée qui comptait déjà d’imposantes réserves, et qui aurait pu facilement être doublée dans l’année; c’était aussi un grand enseignement donné au monde, et que lord Palmerston résumait dans cette phrase significative lorsque, le 8 mai suivant, il disait à la chambre des communes : « Nous avons commencé la guerre (février 1854) avec 212 navires armés, nous en avions 590 quand elle a fini (30 mars 1856). »

Ce remarquable exemple doit suffire à prouver la justesse de ce que nous disions : d’abord que l’amirauté n’est en Angleterre qu’un détail, car elle n’eut pour ainsi dire aucune part à l’improvisation de ce redoutable armement; ensuite que l’industrie anglaise et ses ateliers renferment dans leurs flancs des trésors de puissance dont le secret est encore à donner, et qui éclateraient avec une merveilleuse fécondité le jour où l’Angleterre serait engagée contre un adversaire plus considérable que la marine russe, où elle ne songerait pas seulement à relever au loin l’éclat de son prestige, mais où elle croirait avoir à combattre pour son existence même.

A l’égard du personnel marin dont elle pourrait disposer, la puissance de l’Angleterre se manifeste par des chiffres non moins éloquens que ceux que nous venons de citer. Elle ne possède pas des statistiques aussi bien faites et aussi précises que les nôtres; cependant tout le monde s’accorde à reconnaître que, sans compter les 80,000 hommes que la marine militaire entretient sous le pavillon, la marine commerciale de l’Angleterre emploie 230,000 hommes au moins à ce que nous appelons la navigation de long cours et le grand cabotage, et que si on appliquait à la population qui vit de la marine les règlemens que nous pratiquons en fait d’inscription maritime, on arriverait très probablement, en y comprenant, comme chez nous, le petit cabotage, la pêche, la batellerie, les ouvriers des chantiers de l’industrie privée et des arsenaux, au chiffre de 700,000 ou