Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faut pas juger de ce que peut l’Angleterre par ce qu’elle a fait depuis 1815, car depuis lors elle n’a été soumise à aucune épreuve véritable. Les moyens qui lui servirent il y a un demi-siècle à établir sa prépondérance sur les océans, ces moyens ne lui restent pas seulement tout entiers : ils ont encore été développés par la paix, par la prospérité intérieure, par les progrès de son état politique, social ou économique. Les modifications qui ont été introduites dans le matériel des armées navales ont même tourné au profit de l’Angleterre, par cela seul qu’elles exigent des finances et un emploi du fer et de la vapeur plus considérables que jamais. De même la nonchalance et les fausses manœuvres de l’amirauté n’ont amoindri en rien les forces vitales de la nation, elles ont complètement échappé à son influence, et aux yeux des gens sages l’amirauté n’est toujours qu’une avant-garde derrière laquelle vit, s’agite, s’enrichit et se fortifie dans sa liberté tout un peuple de marins.


III. LA FRANCE.

La France ne possède pas tous ces avantages.

Les faits que nous avons exposés dans cette longue étude tendent à prouver qu’en tant qu’organisation la machine administrative de la marine militaire est instituée en France sur des bases plus sages et plus pratiques que chez nos voisins. Nos ministres ne sont pas tous des Colbert, peut-être même en est-il dans le nombre qui, pour valoir mieux que les excellens lords de l’amirauté, n’ont pas eu d’autre raison à produire que celle qui faisait attribuer par le grand Frédéric à un général d’une certaine catégorie la supériorité sur deux bons généraux. Nos ministres ont pour eux l’unité du commandement et la responsabilité directe et personnelle soit envers le pays, soit envers le chef de l’état. À tous les égards, c’est une très bonne chose et qui, entre tous ses mérites, a celui de forcer les gens à avoir une volonté, la qualité la plus rare à rencontrer chez ceux qui gouvernent. Ensuite les attributions des services qui fonctionnent sous les ordres des ministres sont sans doute mieux réparties et mieux définies chez nous que de l’autre côté de la Manche. Les conseils qui sont institués à côté de chacun de ces services, et qui n’existent pas en Angleterre, sont restés jusqu’ici bien circonscrits dans la sphère qui leur appartient ; ils donnent des avis, mais ils n’agissent pas, et le pouvoir exécutif n’a rien à craindre de leur ingérence dans ses attributions. Il faut dire encore que les agens de ces services sont constitués en corps spéciaux doués d’une vie propre et d’une force de résistance qui, en empêchant qu’aucun d’eux soit sacrifié aux autres et en créant une salutaire émulation entre tous,