Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’imposer à la Gaule, qui l’accepta ainsi que l’Espagne : la vaste préfecture transalpine se trouva par là séparée de l’Italie. Cette catastrophe lamentable arracha un cri de douleur au monde romain. Les Barbares avaient franchi aisément la frontière gauloise, parce qu’elle était dégarnie de troupes; mais ces troupes étaient en Italie, chargées de la défense du centre de l’empire : c’était elles qui avaient vaincu Alaric et détruit Radagaise. En les tirant de leurs cantonnemens du Rhin, Stilicon n’avait fait qu’obéir à la nécessité, puisque la Pannonie, occupée par les Barbares, et l’Illyrie, réunie à l’empire oriental, ne fournissaient plus de soldats à l’Occident. Cependant, on l’accusa non pas seulement d’imprévoyance, c’était trop peu pour les partis, on l’accusa de trahison. Le sauveur de Rome fut dénoncé au monde comme un perfide qui ouvrait les frontières de l’empire aux Barbares, qui les excitait à s’y jeter, afin d’usurper plus aisément le trône impérial à la faveur du désordre : c’était toujours la même imputation, destinée évidemment à frapper l’esprit du timide empereur. Et si difficile qu’il fût de croire qu’un général victorieux, qui n’avait qu’à vouloir pour renverser un enfant, eût préféré attendre et s’amuser à perdre l’état pour avoir l’honneur de le sauver toujours, cette croyance se propagea, et volontairement ou involontairement beaucoup d’esprits l’acceptèrent. Augustin l’admit; Jérôme, écho lointain des bruits de l’Italie, écrivait, du fond de son ermitage de Bethléem : « C’est le demi-Barbare qui tourne contre l’empire les trésors et les forces de l’empire. » — « Il nous pille afin de soudoyer les barbares, disait Orose. Que lui importerait de verser tout ce qu’il y a de sang humain sur la terre, pourvu qu’il pût voir un moment la pourpre sur les épaules de son fils unique? » Quand on lit ces lignes, quand on parcourt les écrits contemporains, on est effrayé malgré soi de l’aveuglement des préventions humaines, et l’on suit avec un sentiment douloureux les progrès de cet orage qui va s’amoncelant sur la tête du dernier homme capable de soutenir encore le nom romain.

Les attaques directes à la personne de Stilicon, et ces invasions répétées de Barbares, les uns victorieux, les autres vaincus, ramenèrent les esprits sur une question qui allait de pair, pour l’importance, avec la question religieuse, celle des étrangers, de leurs droits, de leur place dans cette société à laquelle ils donnaient leur sang : question aussi vieille que Rome, toujours disputée, presque toujours tranchée par la force, et qui éclatait par intervalle avec une violence terrible. Au iv siècle, les étrangers, c’étaient les Barbares dans leurs différentes conditions, auxiliaires, colons, hôtes, fédérés, et plus ils s’assimilaient, plus ils devenaient Romains, plus aussi ils devenaient exigeans sur leurs privilèges; mais le vieil esprit quiritaire, exclusif et jaloux, était toujours là, marchandant, dispu-