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noms nous sont familiers. Dans Cyrus, c’est Condé, c’est Mme de Longueville, c’est toute cette élite de la société française, noble, spirituelle, élégante. Dans Clélie, dont nous avons quelque peine à supporter le vêtement romain, dans Ibrahim et Mathilde d’Aguilar, nous découvrons encore des physionomies que nous aimons à retrouver. Voici Arnauld au milieu de son désert, voici Fouquet et les magnificences trop royales du château de Val terre ou de Vaux, voici l’aimable Henriette d’Angleterre, Mazarin et tant d’autres encore. Un tel cortège de noms illustres, une collection de portraits historiques si finement dessinés, l’esprit de la conversation rendu avec toute sa grâce et toute sa distinction, telles sont les qualités des romans de Mlle de Scudéry, et elles devraient faire oublier la carte de Tendre, qui n’est après tout qu’un badinage littéraire.

Entre l’Astrée et les romans de Mme de La Fayette, Mlle de Scudéry se place presque seule sur le devant de la scène, offrant à une société désoccupée l’unique intérêt qu’elle demandait à la littérature romanesque, c’est-à-dire la peinture idéale de sentimens raffinés et non l’expression naturelle et saisissante des mouvemens du cœur humain. Ce n’est que quand un astre nouveau et charmant se lève à l’horizon que la renommée vieillie s’affaisse graduellement, mais en laissant encore un souvenir honoré, car en 1671, près du moment où paraît Zayde, l’Académie Française décerne à Mlle de Scudéry ce prix d’éloquence, objet d’une si vive émulation depuis plus de deux siècles.

Laharpe dit des héros de La Calprenède qu’ils ont le front élevé. Si nous rapprochons cette expression de celles de Mme de Sévigné, qui trouve que la droite vertu est bien dans son trône, dans Cléopâtre, où il y a d’horribles endroits, nous aurons l’idée du ton des cinquante volumes de l’auteur gascon. La Calprenède est fréquemment nommé avec Mlle de Scudéry, mais fort injustement pour celle-ci, qui a sur lui une si grande supériorité quant à l’esprit et au style, car chez l’illustre précieuse le style est souvent excellent: Cassandre, Cléopâtre, Faramond, rappelleraient plutôt les anciens romans de chevalerie, que n’eussent pas déparés les grands coups d’épée de l’invincible Artaban. Malgré cette humeur gasconne, on comprend assez que de nobles âmes fussent touchées par l’héroïsme et les beaux sentimens de ces personnages romanesques, et l’on aime l’ingénuité qui leur fait accepter une insipide lecture en faveur de la droite vertu.

Si nous avions parcouru aussi les dix volumes de Clélie, nous y aurions rencontré la chétive et spirituelle figure de Scaurus, c’est-à-dire de Scarron, ayant à ses côtés la jeune et prudente Liriane. Le Roman comique de cet auteur original se détache agréablement