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et les auteurs prodiguent sans mesure et sans choix tout ce qui peut satisfaire ce désir insatiable d’émotions et de distractions.

Comme pour s’associer à ce mouvement d’idées, les littératures étrangères pénètrent en France de toutes parts et viennent se fondre dans notre littérature, qui se les assimile avec une remarquable facilité. Elle avait déjà, au XVIIe siècle, mêlé quelques reflets des influences italiennes au génie espagnol, dont elle acceptait la grandeur un peu pompeuse. Le Cid en était la première expression, que nous retrouvions bientôt dans le roman. Après ces influences du midi, celles du nord pénètrent, mais graduellement, dans quelques productions littéraires. L’Angleterre a révélé Shakspeare pour l’art dramatique. Le roman intime nous apparaît avec Richardson. Les épopées nébuleuses ou sauvages d’Ossian, des Niebelungen, des Sagas, les légendes allemandes, qui ajoutent leur merveilleux à celui des contes d’Orient et de nos vieux romans de chevalerie, sont des germes déposés dans une terre féconde que l’on verra s’accroître et se développer à une époque plus accessible aux influences extérieures, car l’esprit du XVIIIe siècle se suffit encore à lui-même. L’intérêt et l’ardeur qu’il apporte dans le débat de ses propres idées ne lui donne, pour celles qui viennent du dehors, qu’un intérêt secondaire.

Parmi les écrivains du XVIIIe siècle, qui tous ont l’esprit léger ou paradoxal, systématique ou licencieux, il est un romancier moraliste rempli d’indulgence, qui peint la société avec une grâce délicate et coquette, et reste original, non par le génie, car Marivaux ne possède pas ce qu’on appelle précisément du génie, mais un talent fin et particulier, vrai au fond sous des dehors maniérés, observateur et sensible. Son style, que lui-même appelle précieux et singulier, convient au tour que veut prendre sa pensée. Le naturel, dans ses romans, ressemble assez à celui des tableaux de Greuze. C’est la nature légèrement fardée, ce sont les types consacrés de la jeunesse ingénue et souriante, de la vieillesse vénérable et respectée, ce sont des portraits bien faits, purs de tons et de lignes, mais dont l’excessive délicatesse n’est pas exempte d’affectation. Pour qui ne craint pas ce genre subtil et recherché que l’on appelle marivaudage, ces romans ont encore à la lecture un charme extrême. Sans émouvoir vivement, ils plaisent à l’esprit comme l’étude la plus habile des nuances infinies du cœur humain.

Ce n’est pas précisément ce qu’il faut chercher dans les romans où Voltaire a mis tant d’esprit et de verve, mais où la nature humaine est loin d’être embellie. Se servant d’apologues transparens, de fictions brillantes, pour la libre discussion de l’ordre social et de l’ordre moral, dans ces écrits légers, l’immortalité de l’âme, la Providence, le libre arbitre, tous les problèmes de la destinée,