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grands seigneurs tirer gloire du siège qu’ils occupaient au parlement, et pourtant accabler de leurs dédaigneux regards les magistrats auxquels la pairie les associait. La duché-pairie dans sa jeunesse devait éblouir ses yeux comme le chimérique idéal placé hors de son atteinte, et plus d’une fois alors le démon de la chose impossible a dû murmurer à son oreille : Si tu étais duc !… M. Pasquier voulut être duc pour satisfaire à un de ces vœux utopiques de la jeunesse qui parfois poursuivent l’homme jusqu’au tombeau. Ce n’était pas aux ducs, ses contemporains de 1844, qu’il se comparait lorsqu’il eut enfin reçu la couronne ducale ; c’était l’ancienne assemblée des pairs que devait évoquer son imagination, et dans ce rêve il prenait place au parlement à côté du plus insolent des anciens pairs ; il soutenait victorieusement le regard du duc d’Aiguillon, du premier ministre qui fit Maupeou chancelier. Le duché fut sur la tête de M. Pasquier la dernière vengeance, la représaille suprême de la robe longue contre la robe courte. Cela voulait dire : Il n’y a plus de ducs. Aussi l’opinion de la société distinguée, indulgente pour cette boutade d’un vieux parlementaire, la couvrit de son silence. Qui jamais dans le monde s’avisait de dire : Le duc Pasquier ? On disait : Le chancelier. Ce titre était une autre vétusté : nous vivons dans un temps où un garde des sceaux est plus qu’un chancelier ; mais cette décoration nominale avait été du moins attachée à une fonction remplie avec une distinction extrême : la présidence de la chambre des pairs ; elle était plus dans le sens de notre histoire, et elle seyait mieux à un Pasquier.

Il est bizarre qu’un petit incident survenu presque en même temps que la mort du chancelier ramène ainsi notre attention sur un des moindres épisodes d’une vie si pleine. Ce n’est point à nous d’essayer ici le portrait de l’homme éminent que la France vient de perdre. Les événemens ont eu dans ce siècle en France une versatilité immorale. La situation de M, Pasquier l’a presque toujours placé dans le courant des événemens ; mais ce que l’histoire pourra dire à son honneur, c’est que toujours, sous quelque gouvernement auquel il ait été associé, c’est la cause de la modération, du bon sens, des transactions honnêtes et raisonnables avec l’esprit progressif du temps, qui a été par lui représentée. Le plus beau moment de la vie politique de M. Pasquier est celui où il fut le collègue de M. de Serre dans le ministère Dessole, et surtout dans le second ministère du duc de Richelieu. M. de Serre a été par l’élévation de la pensée et la chaude générosité de l’éloquence le plus grand ministre de la restauration. L’amitié naturelle de M. de Serre était avec les doctrinaires ; mais à un moment décisif les doctrinaires, par une raideur que l’histoire, croyons-nous, condamnera lorsqu’elle aura le loisir de s’occuper de ces minuties, firent défaut à M. de Serre. Cette nature nerveuse, peu propre à l’action, brisée par la maladie, privée de ses auxiliaires naturels, ne voulut point cependant abandonner le poste où elle espérait établir par une loi électorale largement conçue la véritable constitution du gouvernement représentatif de la restauration.