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M. Pasquier, dans cette crise, aida et suppléa M. de Serre malade avec une présence d’esprit, une habileté pratique, une promptitude et une souplesse de parole, un bon vouloir et une activité en un mot qui, pour n’avoir pas été couronnés de succès, n’en sont pas moins dignes de louange. Plus tard » après 1830, à la tête de la chambre des pairs, cette netteté, cette activité d’un esprit alerte et toujours prêt à démêler les hommes et à pénétrer par le juste point les grandes affaires, se sont exercées d’une façon plus continue encore et avec des effets qui, par leur durée relative, avaient pris par momens la couleur d’une réussite définitive ; mais une des plus remarquables phases de la vie de M. Pasquier fut sans contredit la retraite de sa vieillesse. Déjà octogénaire en 1848, la révolution seule put interrompre sa carrière active et lui fournir l’occasion de mettre, comme on disait autrefois, un intervalle entre la vie et la mort. Le chancelier tira un merveilleux parti de cet intervalle ; dans sa vie devenue privée, il donna un exemple de cette jeunesse d’esprit prolongée au-delà des limites de l’âge qui nous étonne dans la vie publique des hommes d’état de l’Angleterre. Il ne s’était point réfugié, avec la vanité quinteuse de la vieillesse, dans les sentiers touffus de ses souvenirs. Il continuait à vivre dans le présent avec une curiosité inaltérée. Événemens, hommes, livres, journaux, il demeurait au courant de tout, et, n’ayant pas de moyen digne de lui de s’en expliquer publiquement avec ses contemporains, il prenait ses précautions envers la postérité, et lui en disait d’avance son avis par de nombreuses et longues dictées qui seront sans doute jointes un jour à ses mémoires : mémoires volumineux, destinés à être utiles comme l’œuvre d’un homme de faits qui connaît la valeur des détails et ne les omet point ; amples récits qui seront un des plus importans anneaux de la chaîne de notre histoire et par conséquent le plus grand service que le Pasquier du xix* siècle aura rendu à son pays.

L’histoire ! quand commence-t-elle pour ceux qui, en l’animant de leurs actes et de leur influence, allument autour de leur nom les passions de leur siècle ? Il y a là une limite indécise vaguement fixée par la suite des événemens et l’apaisement des sentimens intéressés qui peu à peu laisse percer l’équité de l’opinion. Nous aurions craint que l’heure de l’équité historique ne sonnât bien tard pour la mémoire d’un des hommes qui dans ce siècle ont exercé sur la France l’influence la plus bienfaisante : nous voulons parler du roi Louis-Philippe. Louis-Philippe n’a guère encore été traité dans les écrits du temps que comme un vaincu qui serait encore vivant, c’est-à-dire avec l’ordinaire injustice que la fortune contraire inspire à l’imbécillité et à" la lâcheté humaines. Nous nous trompions : le magnifique portrait de Louis-Philippe que M. Victor Hugo a tracé à l’ouverture du septième volume des Misérables commence noblement, pour le roi de 1830, les réparations de l’histoire. Nous ne ferons pas à un grand esprit qui a toujours fait passer la franchise avant le péril le vulgaire éloge de la sincérité qu’il a mise dans