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haute importance. Nous regrettons que, sous le poids de nécessités pressantes, le ministère ait cru devoir accepter les onéreuses et périlleuses conditions que contient la convention arrêtée avec une société parisienne. Les attributions diverses du crédit sont mêlées dans ce projet avec une confusion que ne permettent plus de nos jours les principes économiques et l’expérience commerciale. On le comprendra aisément. Ce qui fait la solidité et la sécurité des valeurs du crédit foncier, c’est que ces valeurs sont assises sur des propriétés immobilières hypothéquées pour la moitié de leur prix réel. Il y a là un gage qui ne peut disparaître, et qui, se dépréciât-il, couvrirait largement encore l’emprunt effectué. Si les opérations d’un crédit foncier se trouvaient confondues avec celles d’une banque d’escompte, de dépôt, de circulation, de crédit mobilier, la solidité du crédit foncier et des valeurs créées par lui serait aussitôt compromise et altérée. L’élément de la spéculation pénétrerait par tous les pores dans cet établissement, et ses valeurs courraient toutes les chances de la spéculation. Or c’est la confusion que l’on a commise dans le projet de crédit foncier soumis au parlement italien. Sous la garantie du même capital, dans l’unique et même société, on a placé le crédit foncier, l’escompte de valeurs à trois mois et renouvelables, les dépôts, l’ouverture de comptes-courans, enfin, outre la création des lettres de gage, l’émission de valeurs indéterminées. L’erreur commise nous paraît avoir une double portée, que l’on aura plus tard, si l’on y persiste, lieu de regretter. Il est évident d’abord que l’on compte placer sur le marché français les titres qu’émettra la société. Une première difficulté sera d’obtenir pour ces valeurs la cote officielle ; mais, sans parler de ce premier embarras, les capitaux français se détourneront des titres d’un établissement dont les opérations n’auront pas été étroitement limitées à l’objet que son nom indique, qui sera en réalité tout autre chose que le crédit foncier français, qui ressemblera plutôt à ces banques russes, conception indigeste et barbare, faisant à la fois l’escompte et le prêt hypothécaire, suspendues aux nécessités gouvernementales et, par l’anarchie de leurs fonctions, perdant les garanties propres de leur crédit. Aura-t-on des moyens particuliers de diffusion tels que ceux dont a joui le crédit foncier de France ? La vulgarisation et la popularité des obligations de notre établissement sont dues surtout au concours de nos receveurs-généraux. Le trésor chez nous, lié étroitement à notre crédit foncier, a pu mettre ainsi ses agens à son service ; pense-t-on qu’il les prête non-seulement à une société étrangère, mais à une société conçue sur des principes qu’un ministre des finances français ne pourrait pas approuver aujourd’hui dans la création d’une société française ? On s’expose sous ce rapport à de pénibles mécomptes.

Mais c’est à un point de vue plus élevé que nous nous plaçons pour condamner ce projet trop peu mûri. Le gouvernement italien compte évidemment sur l’influence de l’institution de crédit pour subvenir an déficit de son budget. Ce déficit dépasse 200 millions. Le ministre se propose d’y pourvoir.