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Parmi tant de questions qui demanderaient une étude à part, j’en choisirai une dont l’intérêt n’est pas de pure spéculation; il s’agit de l’un des principes de la société moderne, d’un principe contenu dans le christianisme et consacré par la France de 89, mais qui est encore méconnu de nos jours soit par les fanatiques de la révolution, soit par de faux gardiens de l’Évangile. Au milieu des chapitres où M. l’abbé Flottes résume la pensée de saint Augustin sur l’ordre social, sur le patriotisme, la propriété, l’esclavage, le pouvoir temporel, la peine capitale, il y en a un qui porte ce titre : la Liberté de Conscience. Quel est, d’après l’auteur des Confessions, le droit de la conscience religieuse? Un écrivain protestant, M. Adolphe Schaeffer, avait essayé de répondre à cette question dans un écrit intitulé : Essai sur l’avenir de la tolérance. Le livre de M. Schaeffer, qui contient des pages excellentes à côté de quelques parties faibles et d’assez graves erreurs, avait passé inaperçu il y a trois ans; c’est le moment d’y revenir aujourd’hui que l’étude de M. l’abbé Flottes éclaire d’une lumière nouvelle le rôle de saint Augustin dans la question de la liberté de l’âme et l’horrible abus qui a été fait de son nom aux heures les plus sinistres de notre histoire.

La liberté de conscience ! Voilà un de ces dogmes vraiment évangéliques auquel saint Augustin était digne d’attacher éternellement son nom, et qui lui a été au contraire une douloureuse occasion de se démentir. Rien de plus chrétien que la conduite et le langage de l’évêque d’Hippone dans ses premiers rapports avec les hérétiques de son temps. C’est à peine s’il ose définir l’hérésie, tant il craint de condamner des consciences pures. Saint Augustin tenait depuis longtemps ce généreux langage lorsque les représentations de ses collègues, inspirées par le progrès croissant des donatistes, le décidèrent à changer d’opinion. Nous avons peine à comprendre aujourd’hui les motifs d’un revirement d’idées si complet. Les lettres où il cherche à justifier ses contradictions, osons le dire, sont bien peu dignes d’un tel génie. Ces excuses sont trop humbles, venant d’une âme si grande et si saintement inspirée. L’histoire des quatre premiers siècles ne disait-elle pas à Augustin quelle est la force invincible des armes évangéliques? Il y avait une tradition consacrée par des exemples admirables et d’immortelles paroles, une tradition de patience, de charité, de fraternité religieuse, de conquêtes spirituelles accomplies par l’amour; l’évêque d’Hippone le premier (je dis le premier, bien qu’il ait obéi à l’impulsion de ses collègues; mais plus le génie est grand et la sainteté glorieuse, plus grande aussi est la responsabilité qu’elle assume), l’évêque d’Hippone le premier parmi les pères a créé une tradition différente.

On connaît la parabole du maître qui, voulant donner un festin, a invité de nombreux convives; elle est rapportée par saint Luc au chapitre XIV de son Évangile. Déjà la table est prête, on attend les invités; mais chacun se fait excuser, celui-ci pour une raison, celui-là, pour une autre. Alors le père de famille entre en colère et dit à son serviteur : « Va sur les places