Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/560

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prenant par le haut, allèrent aux Recoletos, où elles firent leurs prières. Le prince, prenant place près de là, attendit le retour des carrosses, qui arrivèrent, la nuit étant survenue, avec un grand nombre de torches allumées, ce qui était un brillant spectacle. Le concours des gens à cheval, à pied et en voiture fut, ce jour-là, des plus grands qu’on eût vus dans cette cour, et la satisfaction de tous répondait à la démarche du prince. Leurs majestés rentrèrent assez tard au palais, et le prince dans sa demeure, où se rendit aussitôt le seigneur comte d’Olivarez, pour régler l’entrevue secrète de sa majesté avec le prince. Elle eut lieu au Prado, le même soir, à minuit. Avec le roi notre seigneur étaient le marquis de Buckingham et le seigneur comte d’Olivarez, et avec le prince l’ambassadeur extraordinaire d’Angleterre et le comte de Gondomar. À la rencontre des carrosses, sa majesté et le prince descendirent tous deux en même temps. Le roi notre seigneur reçut le prince avec de grandes démonstrations de bon vouloir et de courtoisie, et le prince se montra très content de voir sa majesté et d’avoir passé une si agréable journée. Il y eut entre eux lutte de politesses, surtout lorsqu’ils eurent à monter dans le carrosse de sa majesté, où le prince resta comme en visite. Le prince ne voulait pas monter le premier, et le roi insistait, disant qu’il devait le traiter comme son hôte. À la fin, le prince monta le premier, assurant sa majesté qu’en cela il n’obéissait pas au roi son père. Sa majesté lui donna la droite dans le carrosse, ce à quoi le prince consentit, non sans résistance. Ils s’entretinrent longtemps, se traitant de majesté et d’altesse, et il y eut entre eux de grands complimens pour reprendre chacun au même moment son carrosse, car sa majesté ne permit pas qu’il en fût autrement.

« Le roi notre seigneur, de l’avis du seigneur comte d’Olivarez, qui s’est conduit dans toute cette affaire avec une notable prudence et convenance, ordonna qu’on préparât la réception publique et l’hospitalité dues à un si grand prince, qui venait à sa cour sans vouloir y paraître le fils d’un roi pour qui sa majesté professé une sincère amitié. Pendant qu’on faisait ces préparatifs, sa majesté et le prince eurent plusieurs entrevues, et des deux parts on s’envoya plusieurs messages de grande courtoisie. Sa majesté trouva convenable que le prince fît son entrée publique par San-Geronimo, et pour que rien ne manquât aux égards solennels dus à un si haut personnage, elle suspendit, pour le temps qu’il passerait à sa cour, certaines lois qu’elle avait rendues, peu de jours auparavant, en matière somptuaire. Elle ordonna en outre que les détenus pour fautes légères, soit dans sa capitale, soit dans son royaume, fussent mis en liberté. »

Le contraste était grand entre les cours et les personnes mises ainsi brusquement en présence : deux souverains, l’un indolent et