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Quoi que les courtisans contemporains prissent plaisir à en dire et qu’en aient répété depuis les historiens, la relation du prince avec l’infante elle-même n’était pas en meilleur progrès. « Nous avons omis dans notre dernière lettre ce qu’il y a de plus essentiel, écrivait Buckingham au roi Jacques dix jours après son arrivée à Madrid et avec sa familiarité hardie : nous ne vous avons pas dit combien votre fille, sa femme et ma souveraine maîtresse, nous plaît ; sans flatterie, je crois qu’il n’y a pas au monde une plus charmante créature. Baby Charles lui-même en est touché au cœur, déclare que tout ce qu’il a vu n’est rien auprès d’elle, et jure que, si on ne la lui donne pas, il y aura des coups. » Buckingham en disait plus que son prince et lui-même n’en pensaient. L’infante Marie-Anne avait alors dix-sept ans ; petite, assez grasse, elle avait les cheveux blonds, le teint plutôt flamand qu’espagnol, et les lèvres un peu fortes, selon le type de la maison d’Autriche. Rien ne donne lieu de croire qu’elle fût d’un esprit très animé et développé ; comme on devait s’y attendre, elle était avec le prince à la fois curieuse et embarrassée. Il n’eut d’abord avec elle que des rapports rares et courts ; même quand, logé au palais, il la vit de plus près et plus souvent, l’étiquette de la cour et les mœurs espagnoles ne permettaient pas entre eux ces communications fréquentes et franches où les jeunes cœurs se révèlent et s’éprennent. Charles faisait à l’infante une cour assidue ; il l’attendait pour la voir à l’entrée et à la sortie des églises ; au théâtre de la cour, il arrêtait complaisamment sur elle ses regards ; il se plaisait à courir et à emporter la bague devant elle. Informé un jour qu’elle devait aller à la Casa di campo pour cueillir des fleurs, il se leva de grand matin, et, suivi d’un seul confident, Endymion Porter, il pénétra dans la maison et le jardin. Ne trouvant pas la dame de ses pensées, dit le chroniqueur, il arriva à un enclos particulier dont un mur et une grosse porte fermaient l’entrée. Charles escalada le mur et sauta dans l’enceinte ; l’infante poussa un cri et s’enfuit ; le vieux serviteur qui l’accompagnait tomba à genoux, conjurant le prince de ne pas compromettre l’honneur et la sûreté de ses cheveux blancs. Charles était respectueux et réservé : pendant tout son séjour à Madrid, il continua d’être avec l’infante galant et empressé ; mais ni ses actes, ni ses lettres, ni les documens contemporains ne témoignent que son cœur ait été sérieusement engagé, et dans cette négociation l’amour ne vint point en aide à la politique.

Un fâcheux et grave embarras, provenant des personnes, s’ajouta pour Charles aux difficultés politiques de la situation. Par ses prétentions, sa présomption, son arrogance, l’étalage de son luxe, le sans-gêne de ses manières et la licence de ses mœurs, Buckingham