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Buckingham croyait peut-être montrer les dents aux Espagnols quand il était avec eux plein d’arrogance, d’exigence et d’humeur capricieuse ; mais les plus médiocres observateurs ne tardent guère à reconnaître si l’attitude et les paroles altières proviennent d’un ferme dessein ou d’un vice naturel de la personne. des ses premières relations avec Olivarez, l’orgueil frivole et susceptible de Buckingham avait éclaté ; l’Espagnol était moins franc, mais aussi fier ; ce ne fut bientôt plus entre eux un mauvais vouloir caché ; l’inimitié en vint à ce point « qu’ils furent, écrit l’ambassadeur vénitien Valaresso, plusieurs jours sans se parler. » — « Ils ne se rencontraient jamais, raconta le garde des sceaux du roi Jacques à son biographe Hacket, sans se donner quelque marque de dédain ; quand ils avaient à traiter ensemble, ils étaient comme deux grandes barques sur une mer agitée, qui ne peuvent s’approcher sans se heurter ; à quelque proposition que ce fût, si l’un disait oui, l’autre disait non. » Soit qu’Olivarez l’eût en effet mérité, soit que Buckingham eût fait partager à son prince sa propre animosité, Charles, de retour à Londres et rendant compte, dans le conseil du roi son père, de son séjour à Madrid, témoigna sur Olivarez les mêmes sentimens : « Plus je suis resté en Espagne, dit-il, moins je l’ai trouvé mon ami, et plus il m’a parlé, moins il m’a tenu parole. » En même temps que Buckingham était ainsi avec le premier ministre espagnol en hostilité presque déclarée, il ne vivait pas en meilleure intelligence avec son propre collègue, le comte de Bristol, toujours ambassadeur ordinaire du roi Jacques en Espagne. La prudence de lord Bristol le gênait ; sa faveur auprès de la cour de Madrid l’offusquait ; il était venu en Espagne avec l’espoir d’enlever à l’ambassadeur ordinaire l’honneur de marier son prince, et maintenant il craignait ou que le mariage ne manquât, ou que lord Bristol n’eût plus de crédit que lui pour le mener à bonne fin ; il s’efforça de ruiner à Londres et à Madrid ce crédit, qui lui portait ombrage. En vain le roi Jacques, par entremise de son garde des sceaux, lui fit signaler sa faute et l’engagea à s’en abstenir ; Buckingham avait mesuré la faiblesse de son maître, et prenait plus de soin de le flatter que de lui obéir ; le favori anglais resta en lutte plus ou moins ouverte avec le favori espagnol et l’ambassadeur extraordinaire du roi d’Angleterre avec son ambassadeur ordinaire. Aussi, lorsque Charles et Buckingham retournèrent à Londres sans emmener l’infante, disait-on tout haut à Madrid : « Si le prince était venu seul, il ne s’en serait pas allé seul. »

De sa personne en effet Charles convenait et plaisait aux Espagnols ; mais il n’était ni assez ferme ni assez habile pour réprimer ou pour réparer les fautes de son compagnon : il posait nettement et d’une façon absolue les questions qu’il avait à résoudre, et n’avait