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son gré, et s’il partirait en secret. À ce soupçon, Buckingham répondit fièrement : « C’est l’amour qui a poussé le prince à venir en Espagne ; ce ne sera pas la peur qui l’en fera sortir ; il s’en ira comme il lui convient, en plein jour. » L’infante dit en l’apprenant : « S’il m’aimait, il ne s’en irait pas. » Avant de quitter Madrid, on se fit de part et d’autre de magnifiques présens ; le roi d’Espagne donna au prince dix-huit chevaux espagnols, six barbes, six jumens poulinières et vingt poulains, tous superbement harnachés. Charles offrit à l’infante un collier de deux cent cinquante perles de la plus belle eau, deux paires de boucles d’oreilles aussi en perles, et un diamant de grande valeur. Buckingham et Olivarez firent et reçurent aussi des présens. Quand les deux favoris se séparèrent : « Je reste à jamais, dit l’Anglais à l’Espagnol, le serviteur du roi d’Espagne, de la reine, de l’infante, et je leur rendrai tous les bons offices qui seront en mon pouvoir. Quant à vous, vous m’avez si souvent desservi et désobligé que je ne vous fais aucune déclaration d’amitié. — J’accepte vos paroles, » répondit Olivarez, et il s’éloigna brusquement. Le roi, la reine, l’infante, les deux infans ses frères et toute la cour accompagnèrent le prince jusqu’à l’Escurial, où il s’arrêta deux jours avec ce brillant cortège, admirant la majesté sombre de ce palais que les Espagnols appelaient la huitième merveille du monde, et dont ils se complurent à faire voir à leur hôte toutes les richesses. Le 12 septembre, on quitta l’Escurial. Le roi d’Espagne voulait conduire le prince encore plus loin. Charles s’y refusa. la reine était grosse et ne pouvait supporter cette fatigue. On convint qu’on se séparerait à quelque distance du palais. Comme on se rendait au point déterminé, un cerf se leva sur la route. La chasse s’engagea. Le cerf fut forcé dans un petit bois, où les chasseurs et le cortège trouvèrent une table richement servie. On s’arrêta encore là. Le roi et le prince, descendus de cheval, s’entretinrent une demi-heure en se promenant. Une petite colonne de marbre avait déjà été dressée sur cette place. Philippe et Charles, la main sur ce monument, se renouvelèrent leurs promesses d’alliance et d’amitié. On se sépara enfin. Le roi reprit la route de Madrid, et le prince se mit en marche pour Santander. Ils se quittaient l’un et l’autre sans confiance et pleins de doute sur l’avenir de leurs engagemens mutuels ; mais les princes se servent également des démonstrations brillantes et caressantes pour manifester ou pour couvrir leurs sentimens.

En arrivant à Ségovie, Charles reçut du roi d’Espagne cette lettre écrite le jour même de leur séparation, en rentrant à l’Escurial :