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hécatombe, n’avait pas de physionomie distincte aux yeux de l’histoire. Or l’historien de la Bohême, M. Franz Palacky, en poursuivant pied à pied ses grandes fouilles, en arrachant aux archivés de Prague, aux chroniqueurs tchèques, à maints documens naguère indéchiffrables, la physionomie vivante et vraie de sa patrie, vient d’arriver enfin à ces tragiques aventures du XVe siècle. Nous avons signalé ici même, il y a quelques années déjà, l’importance des recherches de M. Palacky, nous avons dit quel rôle à la fois politique et littéraire lui est échu dans le travail de rénovation qui agite les Slaves autrichiens ; cet Augustin Thierry de la Bohême est un chef de parti, mais un chef si grave, si noble, si modéré, si amoureux de la justice, que la couronne elle-même, tout en redoutant parfois les idées qu’il représente, n’a pas craint, à l’heure du péril, de l’appeler dans ses conseils. Nommé ministre de l’instruction publique pendant les crises de 1848, M. Palacky, bien que tenu à l’écart dès le lendemain de la réaction et frappé d’une sorte de disgrâce, avait sa place marquée d’avance dans ce conseil de l’empire (Reichsrath) où François-Joseph a réuni les principaux représentans des intérêts de l’Autriche. Au milieu de ses devoirs publics, il n’oubliait pas cette histoire de Bohême dont l’avait expressément chargé la confiance de ses concitoyens. D’année en année son monument s’élève. Quand j’ai tracé ici ce singulier spectacle d’un peuple qui renaît à la lumière, et qui, choisissant un des siens parmi les plus dignes, lui donne mission de retrouver son histoire[1], M. Palacky avait déjà traversé victorieusement les siècles du moyen âge ; Il avait ressuscité la race royale des Prémysl, il avait montré une dynastie de rois de Bohême assise sur le trône des césars germaniques, il avait essayé de glorifier Charles IV, de réhabiliter Wenceslas, et il venait de raconter la guerre des hussites ; les derniers volumes publiés par M. Palacky sont consacrés au concile de Bâle et à l’étonnant épisode du roi George[2]. C’est toute une révélation. M. Palacky écrit ses livres en langue tchèque pour ses compatriotes, en langue allemande pour l’Europe lettrée, et il imprime en même temps, sous le titre d’Archives tchèques (Archiv Cesky), le recueil des documens qui sont la base de son histoire. Art d’un côté, érudition de l’autre, les deux œuvres se déploient ensemble. Aussi, provoqués par ces découvertes, des esprits studieux, hors des frontières de la Bohême, ont-ils attaqué déjà les mêmes questions que soulèvent les recherches de l’éminent historien. Au moment où paraissait le travail de M. Palacky sur le règne de George de Podiebrad, un écrivain allemand, M. Max Jordan, élève de l’historien berlinois

  1. Voyez dans la Revue du 15 avril 1855 l’étude intitulée l’Histoire et l’Historien de la Bohême, M. Franz Palacky.
  2. Geschichte von Bôhmen, von Franz Palacky, 3, et 4e volumes. Prague 1857-1861.