Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cet ordre si logique en apparence n’avait abouti qu’à une extrême confusion. Un fabricant de tabatières par exemple avait vu ses boîtes dispersées dans trois départemens de l’exposition, selon qu’elles étaient de corne, de bois ou de métal. Les commissaires de 1862 crurent mieux faire en adoptant en principe la division des trois règnes, mais en la modifiant par des sous-classes, comme disent les naturalistes, fondées sur la différence des divers corps de métier. Ici encore se présenta une difficulté que les commissaires n’avaient point prévue : ils furent assaillis par des listes d’états et de professions dont le nom leur était complètement étranger. En face de l’immense division du travail, le meilleur plan était peut-être de n’en adopter aucun ; c’est un peu ce que fit en désespoir de cause le comité.

Le 31 mars 1862 était le terme fixé pour recevoir les objets destinés à figurer dans l’exposition universelle. Ces objets arrivaient dans des caisses dont quelques-unes avaient traversé toute l’immensité des mers. Celles qui venaient de plus loin n’étaient point pour cela plus en retard ; c’est ainsi que le premier envoi reçu fut une rude caisse de bois huileux qui portait écrit en lettres noires ce nom : « Libéria. » Il fallait maintenant déballer ces produits, les arranger, les étaler avec goût sur l’étroit espace assigné à chacun ; ce ne fut point une des scènes les moins intéressantes de l’exposition universelle. J’ai visité plusieurs fois le palais à cette période de formation, et je n’oublierai jamais le spectacle que présentait alors sous son toit de cristal cette colossale ruche ouvrière. Le tumulte du travail, les coups de marteau mêlés à la confusion des langues, les uniformes rouges des soldats tranchant sur les groupes d’artisans aux bras nus, une partie de l’exposition déjà s’offrant glorieuse aux regards, comme le papillon sorti de sa larve, tandis que l’autre dormait encore au fond des caisses, les visiteurs heurtant les exposans, les exposans coudoyés à leur tour par les ouvriers qui terminaient l’édifice, tout cela était d’un effet extraordinaire. Le caractère des différentes nations se dessinait au milieu de cette agitation immense : l’Anglais, personnel, affairé, tout à son ouvrage, travaillait comme s’il eût été chez lui, sans se soucier du monde entier qui bourdonnait à ses oreilles ; l’Allemand, grave, méthodique, doué d’une activité plus latente, n’en pressait pas moins avec un esprit de suite et de volonté la grande tâche qu’il devait accomplir ; les Français, plus bruyans, plus vifs, plus légers, faisaient mille choses à la fois, tout en trouvant le temps de lancer çà et là des plaisanteries. Les machines travaillaient aussi bien que les hommes, et des échafaudages intelligens, — qu’on me permette de leur donner ce nom, — élevaient les marchandises à la hauteur des galeries en vertu d’un mécanisme dont la force n’avait