Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et l’on commençait à pressentir un retour de l’opinion ; au contraire pouvait-il rien arriver de plus malheureux pour la cause des hussites qu’un long et orageux interrègne ? C’était, à vrai dire, l’interruption de la vie nationale chez un peuple déjà profondément divisé. Dans nos sociétés modernes, la royauté peut disparaître sans que l’état soit ébranlé : il y a des lois, des institutions, de grands services publics ; mise en mouvement par des milliers de bras, l’immense machine fonctionne toujours ; dans un pays comme la Bohême, le peu d’unité qui restait encore était comme attaché à la personne du souverain. C’est ce qui explique pourquoi les hussites, attachés de cœur et d’âme à la patrie, soldats de la cause nationale, ne songeaient pas, malgré leur audace, à remplacer la royauté par une république. Ils voulaient un roi, sauf à régner sur lui. Après la mort d’Albert d’Autriche, tous les partis, les hussites plus que tous les autres, comprirent le danger de la situation : plus de liens, plus de centre, chacun pour soi, la société se décomposait, et que pouvaient devenir alors ces grands intérêts religieux pour lesquels les hussites avaient si longtemps combattu ?

Les prétendans ne manquaient pas au trône de Bohême : il y avait d’abord l’enfant de la reine Elisabeth, veuve d’Albert d’Autriche, car on venait d’apprendre que la reine était grosse au moment de la mort de son mari, et l’on sut bientôt, avant le jour fixé pour l’élection, qu’elle avait mis au monde un fils, celui qui régna longtemps plus tard sous le nom de Ladislas le Posthume ; mais comment aurait-on songé à élire un enfant, quand le misérable état du royaume exigeait la présence d’un tuteur énergique ? Tout ce qu’on pouvait faire, c’était de réserver les droits du nouveau-né et de pourvoir sans délai aux nécessités du moment. Quelques-uns des principaux seigneurs, après des pourparlers tumultueux, convoquent une diète à Prague, et lorsqu’ils ont établi, non sans de violens débats, une sorte de loi électorale conforme aux besoins du temps et du pays, on procède à l’élection du roi. Comme dans plusieurs constitutions de l’Europe moderne, le suffrage universel s’exerçait à deux degrés. On choisit d’abord les électeurs chargés d’élire le prétendant au trône. Ils étaient au nombre de quarante-six, dix-huit pour l’ordre des seigneurs, quatorze pour les chevaliers, et quatorze encore pour les bourgeois. Les titres des différens princes ayant été discutés tour à tour, on convint de circonscrire la lutte entre quatre d’entre eux ; c’était Wladislas, roi de Pologne, Frédéric, margrave de Brandebourg, Louis, comte palatin, et Albert, duc de Bavière. Après plusieurs votes, ce dernier l’emporta, et presque à l’unanimité des suffrages. Aussitôt une députation des électeurs va le trouver à Munich et lui offre la couronne ; Albert hésite, demande à consulter l’empereur, cherche à éviter les conditions qu’on lui impose, surtout