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Les seigneurs qui suivaient le parti de Meinhardt, abandonnés des bourgeois et du peuple, font cause commune avec le parti allemand. Le baron de Rosenberg leur fournit secrètement de l’or et des soldats. C’est d’abord une guerre de coups de main : on pille les propriétés du vainqueur de Prague, on ravage ses domaines, on assassine ses vassaux ; mais, tandis que l’ennemi se déshonore par ces violences inutiles, George, entouré de son armée, qui s’accroît et se discipline, apparaît de plus en plus avec la majesté d’un chef. Si Ulrich de Neuhaus, à l’aide du parti catholique, réussit à organiser ses pillards, si deux fédérations armées sont aux prises pendant toute l’année 1449, si la guerre extérieure ajoute ses complications aux malheurs de la patrie, si quelques princes allemands, le duc de Saxe, le margrave de Brandebourg, le margrave de Meissen, les uns excités par Rosenberg, les autres profitant de l’anarchie du royaume, essaient de faire la loi dans le pays de Jean Huss, George de Podiebrad tient tête à tous les périls, battant l’ennemi sur le terrain des négociations et de la ruse, comme il l’a battu en rase campagne ou sur la brèche sanglante de ses burgs. Surtout, à force d’activité guerrière et de sagesse politique, il accoutume la Bohême à voir en lui le représentant de l’ordre, de la paix, de la patrie, de la religion nationale, pendant que ses adversaires ne tirent l’épée que pour leur intérêt personnel. Le jour où la diète de Prague, après deux années de guerres civiles, réconcilia les partis, organisa la justice et promulgua une sorte de loi martiale contre tout violateur de la paix publique, c’est à George de Podiebrad que la reconnaissance populaire attribuait ce grand résultat.

L’empereur lui-même avait les yeux sur lui, et, soit qu’il eût compris le danger de disputer à un tel homme une prééminence si vaillamment acquise, soit qu’il voulût mettre à profit pour ses propres desseins la popularité de George de Podiebrad, il ne tarda pas à consacrer son pouvoir. Il faut se rappeler ici que l’empereur Frédéric III, simple duc de Styrie, était encore un très petit seigneur lorsqu’à la mort d’Albert, gendre de Sigismond, il accepta, non sans hésiter la couronne impériale ; il faut se rappeler que son principal souci était d’agrandir ses états héréditaires, qu’il s’inquiétait fort peu des affaires générales de l’empire, qu’il y intervenait aussi rarement que possible et avec une singulière mollesse ; il faut se rappeler enfin que sa politique, à la date où nous sommes, était de prolonger indéfiniment l’interrègne dans les royaumes de Bohême et de Hongrie. Ces deux royaumes appartenaient à l’héritier des deux derniers empereurs, au fils d’Albert, au petit-fils de Sigismond, à ce Ladislas que l’histoire appelle Ladislas le Posthume, car Sigismond, de la maison de Luxembourg, était roi de Hongrie avant d’être élu empereur d’Allemagne, et il devint roi de Bohême à la mort de son