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au dévouement d’un apôtre. Avant de mettre le pied chez les hussites, il avait voulu gagner leur confiance ; il parcourait l’Allemagne en réformateur des abus de l’église, et peut-être fût-ii parvenu à s’entendre avec Rokycana, si les violences de son collègue n’avaient réveillé les vieilles colères. Jean Capistran, né à Capistrano, dans le pays de Naples, était un fanatique de la plus grossière espèce, mais dont l’énergie égalait la grossièreté ; éloquent, infatigable, toujours à l’œuvre, toujours l’insulte à la bouche, secouant les torches de l’enfer devant les populations terrifiées, il avait ramené bien des dissidens à l’église et se faisait fort de conquérir la Bohême. Comme l’assiégeant qui creuse ses tranchées, il enveloppait la place avant de commencer l’assaut. En Autriche, en Moravie, en Silésie, dans le duché de Saxe, sur toutes les frontières du royaume, Jean Capistran allait vociférant contre les hussites, traitant de mensonge les compactats du concile de Bâle, appelant la communion sous les deux espèces une hérésie infernale et accablant l’archevêque Rokycana des plus outrageantes invectives. Pendant que cette prédication excitait contre les Tchèques la haine des populations allemandes, et, répétée de proche en proche, venait jusqu’au sein de la Bohême bouleverser les âmes simples, un personnage tout différent, un homme de l’esprit le plus fin, AEneas Sylvius Piccolomini, alors évêque de Sienne, avait une sorte de conférence théologique avec George de Podiebrad. AEneas Sylvius en cette circonstance n’était point légat du pape : Frédéric III l’avait chargé d’une mission auprès des états de Bohême rassemblés à Beneschau ; mais quand on voit un évêque italien accepter de l’empereur d’Allemagne une mission diplomatique et s’intéresser si virement à la pacification du pays de Jean Huss, on peut bien croire qu’il n’était pas seulement l’homme d’affaires de Frédéric III, mais le représentant du saint-siège. L’église hussite, dès le lendemain de la victoire de Podiebrad, se trouvait donc harcelée de trois côtés à la fois et par des armes très diverses : Nicolas de Cuse avec son zèle d’apôtre, Jean Capistran avec ses violences de terroriste, AEneas Sylvius avec les ressources d’un diplomate consommé, s’attaquaient à tous les sentimens du pays et à toutes les classes de l’état. AEneas Sylvius s’adressait au lieutenant du royaume, Jean Capistran à la multitude ignorante, Nicolas de Cuse au clergé hussite et à toutes les âmes religieuses. On ne sait pas si George de Podiebrad eut quelques rapports avec Nicolas de Cuse, qui en était encore aux préliminaires de sa mission ; mais on sait, et de la façon la plus certaine, puisque AEneas Sylvius a pris soin de rédiger lui-même son entretien avec le jeune chef du peuple hussite, on sait que George de Podiebrad fut modéré, respectueux, sans aucun orgueil de sectaire, pleinement et naïvement chrétien, au point de réjouir le doux évêque de Sienne ; on sait aussi que sa fermeté fut égale à sa