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respect des franchises nationales. La Bohême, à l’heure de son plus audacieux développement, était donc fidèle à son esprit distinct en même temps qu’elle était dévouée au monarque. N’est-ce pas ainsi que nous avons vu récemment le pays des hussites, en 1848, défendre la monarchie des Habsbourg ? N’est-ce pas ainsi que les descendans de Podiebrad, sous le commandement de Jellachich, combattaient les descendans des Hunyade ? L’Autriche était pour eux le lien d’une grande fédération, comme le roi était pour leurs ancêtres le lien de la société bohémienne : voilà pourquoi ils protégeaient l’empire sans cesser de réclamer leur vieille autonomie. Dans ces douloureuses et funestes complications, l’esprit des Tchèques du XVe siècle animait encore instinctivement les Tchèques du XIXe.

Les circonstances toutefois sont bien changées. Entre Bohémiens et Magyars, grâce à Dieu, les vieilles haines ont disparu. Qui sait si les Tchèques de nos jours, après tant d’espérances trompées, persisteraient dans leur ancienne conduite ? Au XVe siècle, la grande préoccupation de George de Podiebrad est de consolider en Bohême la royauté de Ladislas. À la suite de ces tragédies hongroises que nous racontions tout à l’heure, Ladislas est allé s’installer à Vienne et ne paraît pas disposé à en sortir. On dirait qu’il craint la Bohême comme il craignait la Hongrie. Il est probable que les adversaires des hussites entretenaient, chez lui ces sentimens. Podiebrad est obligé de négocier pour arracher le jeune roi à ses conseillers autrichiens aussi activement qu’on négociait naguère pour le soustraire à la tutelle de Frédéric III. Enfin, le 19 septembre 1457, Ladislas quitte Vienne, et dix jours après il arrive dans sa capitale de Prague, où il est reçu avec tous les témoignages d’une joie enthousiaste.


VI

Ladislas était majeur et songeait à se marier, Est-ce un des seigneurs de sa cour de Vienne, est-ce George de Podiebrad qui lui suggéra la pensée de demander la fille du roi de France ? On ne sait ; mais un des premiers soins du jeune prince, dès son retour à Prague, fut d’envoyer à Charles VII une brillante ambassade de seigneurs, de dames et de demoiselles chargée de lui ramener sa fiancée, madame Madeleine, âgée de quinze ans. S’il faut en croire nos vieux chroniqueurs, ce serait Charles VII lui-même qui aurait souhaité cette alliance pour organiser plus sûrement une expédition contre les Turcs[1]. Quoi qu’il en soit, l’ambassade, composée des plus grands seigneurs de la Bohême, arriva dans la ville de Tours, où

  1. Voir l’Histoire de Charles VII, roi de France, par Jean Chartier, sous-chantre de Saint-Denys, Jacques le Bouvier, Mathieu de Coucy et autres auteurs du temps ; Paris 1661, in-folio.