Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/660

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venir nous présenter cette princesse comme une des figures les plus mal connues de l’histoire, comme une figure qu’il était urgent de défendre contre les calomnies des ignorans ou des méchans. Si j’insiste sur cette exagération, c’est pour faire ressortir davantage le singulier revirement qui devait, un an plus tard, entraîner l’ardent apologiste de Marguerite à porter lui-même à sa mémoire le coup le plus cruel, le plus immérité, et à introduire le premier dans la circulation historique une hypothèse odieuse, qui ne repose sur aucun fondement sérieux.

Avant toutefois d’aborder cette nouvelle question, il faut dire que, si en effet la reine de Navarre avait eu besoin d’être réhabilitée, elle l’eût été par le premier recueil de ses lettres. Elle apparaissait dans cette première correspondance comme une personne douée des qualités à la fois les plus solides et les plus charmantes. Quoiqu’elle eût partagé cette fièvre de savoir qui dévorait les esprits au XVIe siècle, quoiqu’elle eût étudié non-seulement les langues modernes, mais le latin, le grec, qu’elle n’eût pas même reculé devant l’hébreu, la philosophie et la théologie, elle avait gardé intact le principal agrément d’une femme ; elle restait ornée de la simplicité la plus attrayante et du naturel le plus parfait. Sur un seul point, on voyait son esprit sensé et lumineux subir parfois l’influence du mysticisme obscur et incohérent du respectable évêque de Meaux, Briçonnet ; mais cette influence même avait sa cause dans une des tendances les plus remarquables de cette nature si distinguée, dans une préoccupation continuelle de la vérité religieuse et de la vie éternelle, préoccupation qui n’abandonne jamais Marguerite soit au milieu des divertissemens de la cour, soit parmi le tracas des affaires les plus épineuses, et qu’elle associe même, comme pour en corriger la frivolité, aux récits parfois égrillards de l’Heptaméron.

À cette piété sincère, Marguerite joignait un esprit de tolérance très rare de son temps, et qu’on a voulu à tort considérer comme le signe d’une adhésion secrète au calvinisme. Sur ce point, M. Génin nous paraît fondé en droit, lorsque, dans sa première notice, il soutient que la reine de Navarre fut toujours catholique de fait et d’intention, qu’elle appartenait seulement à ce groupe d’esprits éclairés et modérés dont les vues sont approuvées par Bossuet lui-même dans son Histoire des Variations, et qui, sans vouloir rompre l’unité de l’église, aspiraient à la réforme des désordres qui s’étaient introduits dans son sein.

Dans cette première correspondance, la princesse se montrait non-seulement bonne, pieuse, dévouée, toujours occupée des autres et presque jamais d’elle-même, mais encore douée pour les affaires d’une sagacité virile, soit qu’elle traite des questions de politique générale, soit qu’elle s’occupe des détails de son gouvernement