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d’Alençon ou de Béarn. Comment donc le même écrivain qui nous avait d’abord présenté Marguerite sous le plus beau jour a-t-il été conduit, dans un second ouvrage, à jeter sur cette gracieuse figure une ombre funeste, qui la ternirait, si elle devait subsister ? C’est ce qu’il reste à expliquer.

Dans la notice placée en tête du premier recueil, l’éditeur, en recherchant pour les combattre toutes les calomnies publiées contre la mémoire de la reine de Navarre, avait dépisté un romancier du XIXe siècle, assez obscur et dénué de toute autorité, qui, confondant sans doute la sœur de François Ier avec la sœur de Charles IX et de Henri III, avait reproduit contre la première Marguerite une rumeur que deux pamphlets du XVIe siècle, probablement mensongers au moins sur ce point, avaient répandue contre la seconde. Il ne s’agissait de rien moins que d’une accusation d’inceste. En lisant cette accusation si étourdiment transposée, l’éditeur, indigné contre le romancier en question, s’écriait : « Si ces horreurs étaient mises sur le compte d’une bourgeoise morte l’an dernier, il n’y aurait qu’un cri pour les flétrir ; mais le premier venu barbouilleur de papier peut souiller impunément la mémoire d’une princesse morte il y a trois siècles ! » Et, après avoir fait ressortir les erreurs grossières du roman insignifiant dont il s’agit, il concluait en disant : « Ces déplorables compositions, la honte de notre littérature, circulent parmi le peuple, qui va puiser là ses notions d’histoire nationale[1]. »

Un an s’était à peine écoulé, et l’éditeur des lettres de Marguerite, ayant retrouvé et publiant une nouvelle correspondance de cette princesse, plus intéressante encore que la première, n’hésitait pas à se faire le propagateur, avec des adoucissemens plus apparens que réels, de cette imputation odieuse qui l’avait d’abord si vivement indigné. Un pareil changement d’opinion suppose la découverte de quelque document accablant, dont l’irrésistible évidence a dû contraindre un admirateur passionné, mais sincère, de Marguerite d’Angoulême à s’incliner avec douleur devant la vérité. On va en juger.

Le recueil qui avait échappé aux précédentes recherches de M. Génin se compose de cent trente-huit lettres de Marguerite à son frère François Ier. Sur ces cent trente-huit lettres, il y en a cent trente-sept écrites incontestablement de la main de Marguerite et signées de son nom. Le style de ces cent trente-sept lettres, dont l’écriture seule est difficile à lire, se distingue par la vivacité et la netteté des tours. Chacune d’elles exprime le plus clairement du

  1. Notice sur Marguerite d’Angoulême, premier recueil de lettres inédites, p. 44.