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désirent le voir encore que de mal en pis, c’est-à-dire dépouillé de la Bourgogne, s’il faut qu’il la perde pour être libre. Toutes les autres phrases de la lettre sont expliquées dans un sens analogue. J’avoue que les explications de M. Lutteroth me paraissent plus ingénieuses que solides, et à son interprétation je préfère la critique très judicieuse qu’il a faite de celle de M. Génin.

Quant à celle-ci, elle me paraît la plus inadmissible de toutes, non pas seulement parce qu’elle est odieuse, et que l’odieux a besoin d’être prouvé deux fois plutôt qu’une avant d’être accueilli, mais parce qu’elle est tout à fait imaginaire. Suivant M. Génin, la lettre en question signifie tout simplement que Marguerite est amoureuse de son frère. « Elle a laissé, nous dit-il, s’allumer et se développer à son insu cette tendresse fatale qui, trois siècles plus tard, dévorait la sœur de René. On ne peut dans tout ceci former que des conjectures. François, non plus que René, ne partagea la passion qu’il inspirait. On voit qu’ayant à passer par le lieu qu’habitait sa sœur, il se détournait, afin d’éviter une rencontre dangereuse pour elle, pénible pour tous deux ; mais Marguerite est avertie de sa résolution, elle la combat, elle le supplie de venir, elle veut le voir encore que de mal en pis ; le voir, c’est là le principal de son heur ! François alléguait les effets du temps et de l’absence ; il y comptait comme sur un remède infaillible ; il invoquait l’expérience, c’était là un vain prétexte, une défaite ; Marguerite le lui sait bien dire : « Sire (n’osant l’appeler mon frère), n’augmentez pas ma lamentable misère ; le temps ne peut rien pour ma guérison, si vous ne me secourez vous-même, et vous le savez bien ! »

Après nous avoir ainsi présenté Marguerite mariée, âgée de vingt-neuf ans, recherchant et bravant le danger que fuit son frère, l’éditeur croit cependant devoir nous avertir « qu’il faut bien distinguer où finit le malheur et où commence le crime, et que cet intervalle, Marguerite ne l’a jamais franchi ! » On est vraiment tenté de dire : Qu’en savez-vous ? Puisque votre odieuse hypothèse ne vous a point paru téméraire, qui vous autorise à en limiter la gravité ? A cela il nous répond : « Si quelqu’un conservait des doutes à cet égard, ils ne tiendront pas à la lecture des deux correspondances de la reine de Navarre avec Montmorency et avec François Ier. » Mais si la lecture de ces deux correspondances suffit pour nous empêcher d’attribuer à Marguerite des actions criminelles, comment n’a-t-elle pas suffi pour empêcher de lui supposer des sentimens criminels d’après une seule lettre qui ne dit rien ? Enfin n’est-il pas exorbitant qu’après avoir ainsi fait les honneurs de la moralité intentionnelle d’une princesse illustre, l’éditeur vienne nous dire que son interprétation « ne peut en rien diminuer le respect dû au caractère de cette princesse, et qu’elle doit au contraire y ajouter cette admiration mêlée