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LE
PRINCE DOMENTI
SCENES DE LA VIE GEORGIENNE

Indolemment assise sur un fleuve entre la Mer-Noire et la Mer-Caspienne, la ville de Tiflis est le rendez-vous de l’Asie et de l’Europe. Vingt religions, vingt peuples divers s’y coudoient, et les contrastes les plus curieux s’y réunissent pour surprendre et enchanter le voyageur. Égarez-vous le jour dans ces rues que brûle un soleil de feu, et d’étranges tableaux ne tarderont pas à se disputer votre attention. Une caravane d’une centaine de chameaux s’avance lourdement, chargée des marchandises de la Perse, de la Bessarabie, de l’Inde ; leurs clochettes tintent monotones, sourdes, et involontairement on songe au morne silence des steppes. Quatre buffles attelés au col traînent avec lenteur une misérable charrette qui emporte toute une famille tatare ou géorgienne. Un galop de Cosaques, leur longue lance au poing, soulève des flots de poussière. Voici un enterrement grec qui défile, suivi de pleureuses qui déchirent l’air de leurs cris ; des pauvresses, en guenilles vous tendent une main amaigrie ; un paysan rencontre un prêtre, il lui. baise la main et reçoit en échange sa bénédiction ; un soldat russe, en face d’une église, se signe à tour de bras et fait la révérence. Où va cette pauvre Géorgienne pieds nus sur la dalle brûlante, tout enveloppée d’une grande pièce d’étoffe blanche ? A l’église, pour accomplir un vœu. Les marchands paresseux, assis devant leurs portes, regardent les passans en comptant les gros grains d’un chapelet. Sans craindre la chaleur du jour, les Arméniens, l’œil inquiet, pressent le pas en comptant leur gain de la veille et en pensant aux dupes qu’ils feront le lendemain.