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Il y a des publicistes, des politiques, qui ne voient dans M. Juarez que le représentant des idées libérales, et dans le gouvernement actuel du Mexique qu’une personnification de l’esprit de progrès injustement assaillie. Ils ne devraient pas, je pense, mêler ici ce grand mot de libéralisme, qui a certes une autre signification. Ce n’est pas de libéralisme qu’il s’agit au Mexique. La moralité de ces guerres civiles mexicaines au point de vue extérieur, un journal anglais publié à Mexico l’exprimait, il y a un an, avec une brutalité qui n’épargnait aucun parti. « L’expérience que nous avons faite des procédés des deux factions qui dévastent le pays, disait-il, laisse peu d’espoir de remède, parce qu’aucune de ces factions n’a un atome de patriotisme, n’est capable de sacrifices pour le bien général, et ne se soucie d’abandonner la lucrative profession à laquelle elle se livre, c’est-à-dire la spoliation des propriétés des étrangers aussi bien que des nationaux. Je parle des deux factions, parce que, qu’il s’agisse du prétendu gouvernement ou de l’insurrection, le résultat est le même. Toute la différence consiste en ce que le premier vole au nom de la loi, au moyen d’emprunts forcés, tandis que la seconde brise nos portes les armes à la main, et enlève tout ce qu’elle trouve au cri de la religion et de l’ordre. Mais la question principale, et du plus grand intérêt pour nous, est celle-ci : ne peut-on mettre une borne à de tels actes de violence et de spoliation contre les personnes et les propriétés des sujets anglais et des autres étrangers ? Il se peut que nous soyons trop intéressés dans la solution de cette question pour juger avec impartialité ; mais cela nous paraît certainement une anomalie, qu’une nation aussi puissante que la Grande-Bretagne permette que ses sujets soient pillés, expulsés, maltraités par un peuple de métis, et qu’elle ne trouve aucun remède à ce mal. » J’ajouterai qu’une question plus générale et plus élevée, plus grave pour la sécurité du Nouveau-Monde lui-même, naissait irrésistiblement pour l’Europe de cet ensemble de complications. Fallait-il attendre que la dissolution du Mexique, si étrangement précipitée par les guerres civiles, fût arrivée à son terme, et que les États-Unis, retrouvant la liberté de leur action, pussent poursuivre l’œuvre d’annexion qu’ils n’ont accomplie jusqu’ici que partiellement, tantôt par la guerre, tantôt par des traités déguisant sous des prêts des cessions de territoire, en achetant, lambeau par lambeau, les plus fertiles provinces de cette malheureuse république ? S’il y avait pour l’Europe un intérêt assez sérieux à ce que le Mexique existât encore, et ne fût point définitivement condamné à être absorbé, le moment d’une tentative n’était-il point venu ?

Et c’est ainsi que cette pensée d’une intervention européenne naissait d’un sentiment universel de lassitude, de l’impuissance de